Le Père Mina a été le premier
compagnon du Père Matta El-Maskine, un des 7 ermites du
Monastère Saint Macaire. Il vit ici à la manière des
premiers moines du désert. Q: "Qu'apprend-ton dans le désert?" Père Mina: "D'avoir un Amour authentique sincère envers le Christ" Q: "Quelle expérience de Dieu fait-on?" Père Mina: "On fait l'expérience de l'amitié personnelle intime avec la personne du Seigneur Jésus-Christ... Le sentiment intérieur réel vécu de l'intimité avec le Seigneur: Je Suis avec vous." Q: "Merci" |
Father Mina was the first companion of
Father Matta El-Maskine, one of the first 7 hermits of the
Saint Macarius Monastery. He lives here in the manner of the
first monks of the desert. Q: "What does one learn in the desert?" Father Mina: "To have an authentic sincere Love towards Christ" Q: "What experience of God do we make here?" Father Mina: "We make the experience of the personal intimate friendship with the person of the Lord Jesus-Christ... The interior real lived sentiment of the intimacy with the Lord: I Am with you." Q: "Thank you" |
La Lumière du Désert -
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on Vimeo.
NEW: French version with English
subtitles
Source: http://www.spiritualite-orthodoxe.net
(Son nom est aussi transcrit: Matta El-Meskine, Matta El-Meskin, Matta El-Maskin, Matta El-Meskeen)
Appréciée par de nombreux chrétiens du monde entier de toutes confessions, la théologie de Père Matta El-Maskine est fondée de manière rigoureuse sur les Saintes Ecritures et sur les écrits des Pères de l'Eglise.
Ses enseignements ont aussi une caractéristique essentielle pour le fidèle, c'est qu'ils passent de la théologie théorique à la théologie spirituelle vécue et qu'ils constituent ainsi, selon la situation de chacun, soit des guides précieux dans la lignée des Pères du désert, soit des éléments de réflexion enrichissants.
Ils
s'adressent au fidèle quel qu'il soit: menant une vie de
famille, monastique ou solitaire.
Biographie, livres publiés, enseignements et homélies à lire en ligne, audio-vidéos
Ecouter le Père Matta dans un entretien de 30mn donné en 1978: Solitudes ou la Balance du Coeur
BIOGRAPHIE
Père Matta El-Maskîne, higoumène de l'Eglise chrétienne orthodoxe copte, moine, ascète et érudit fut le père spirituel du monastère de Saint-Macaire Le Grand en Egypte durant 37 ans.
Né en 1919 près du Caire, il a été moine dès 1948 au monastère Amba Samuel sur la montagne Kalamoun.
En
1950 il quitte le monastère pour la région du Waddi Rayyan où
il devint ermite. Il est ordonné prêtre un an après puis
Higoumène en 1954.
Il fut nommé responsable du monastère Saint Macaire dans le
désert de Wadi El Natroun en 1969. Né au Ciel le 8 juin 2006 à
l'âge de 87 ans, il a été enterré selon sa volonté dans une
grotte creusée dans la roche proche du monastère.
Le père Matta El-Maskîne est l'auteur de très nombreux ouvrages et écrits spirituels dont quelques uns sont traduits en anglais, allemand, français, russe, italien, polonais, hollandais, grec, serbe, ukrainien, suédois, espagnol et portugais. Ses derniers écrits sont une série de fascicules intitulés "Avec le Christ".
Lire l'autobiographie complète sur notre site avec divers témoignages : Autobiographie de Père Matta El-Maskine
MONASTÈRE
DE SAINT-MACAIRE au Désert de Scété
L'OEUVRE DE PERE MATTA EL-MASKINE
Nous
vous présentons sur ce site les livres de Père Matta
El-maskine traduits en langue française mais aussi ses
enseignements, des homélies, catéchèses orthodoxes et lectio
divina ainsi que des articles inédits en français qui ont été
classés par thèmes et que vous pouvez lire en ligne. Le Monastère de Saint Macaire Le Grand © en Egypte
en possède les droits d'auteur.
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La bibliographie:
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Une société de bienfaisance
Père Matta a également créé en l'an 2000 la société de bienfaisance "Archangel Michael Coptic Orthodox Charity Mission" (AMCC) qui a pour mission d'aider à subvenir aux besoins des Coptes qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté en Egypt. La branche qui s'occupe de récolter des fonds est en Amérique: Archangel Coptic care
Pour plus d'informations sur le Monastère de Saint Macaire le Grand au Désert de Scété (Wâdi el Natroun):
Père Matta El-Maskine - AUTOBIOGRAPHIE
Une biographie complétée par divers documents
et témoignages
Copyrights - Droits d'auteur réservés à:
Monastère de Saint Macaire Le
Grand © en Egypte.
2006
Le Père Matta el Maskine a écrit cette autobiographie en 1978, à la demande d’un étudiant qui préparait une maîtrise en philologie à propos d’un de ses livres.
Le Père Matta avait toutefois demandé de ne pas publier cette autobiographie de son vivant.
Dans la présente édition, elle est complétée par divers autres documents et témoignages. Sur le siteweb, ils sont mis entre crochets ou placés pour les plus longs en bas de texte dans deux annexes.
***
Monastère
de Saint Macaire le Grand en Egypte
Table des matières:
I.
La vie familiale et professionnelle
L’enfance
(1919 - 1929)
Une
mère exemplaire qui ne cessait pas de prier
Apparition
des saints pèlerins
Écolier
Avec
les étudiants (1935 - 1944)
Premiers
contacts avec les Écoles du dimanche (1940 – 1943)
Une
expérience douloureuse du fanatisme confessionnel
Une
conduite exemplaire devant les non chrétiens
Formation
intellectuelle
Succès
professionnel (1944 - 1948)
Évolution
spirituelle intérieure
II.
La vie monastique
En
chemin vers la vie monastique (1948)
Entrée
dans la vie monastique
Expérience
monastique
Première
épreuve monastique
Conception
servile de l’obéissance
L’épreuve
La
vie monastique telle que je l’ai expérimentée
Vers
le Deir es-Sourian (mars 1951)
Premiers
contacts après une solitude complète
Dans
la grotte, près de Deir es-Sourian
Vicaire
patriarcal à Alexandrie (mars 1954 – mai 1955)
Place
de l'Annexe 1 - témoignages
Le
retour au Deir Anba Samuel (20 juillet 1956)
Le
second départ de Deir Anba Samuel (27 juillet 1960)
Au
Caire
Le
même métropolite nous donne sa bénédiction
Au
Wadi Rayyan (11 août 1960 – 9 mai 1969)
Activité
littéraire
Lettre
du patriarche Cyrille VI, dans laquelle il ne fait aucun
cas de la prétendue sanction portée contre le Père Matta
el Maskine
Tentatives
de réconciliation de la part du patriarche
Place
de l'Annexe 2 - témoignages
Au
monastère de St-Macaire (9 mai 1969)
(Fin de l'autobiographie)
Le
rôle conciliateur du Père Matta el Maskine au cours de la
crise d’avril 1980
Les
événements de septembre 1981
Épilogue
*
* * *
*
C’est la première fois que j’écris quelque chose sur ma propre vie.
Je suis né le 20 septembre 1919 d’une famille nombreuse, de condition modeste, aimant les études. J’ai eu cinq frères diplômés de l’université, l’aîné en 1933, le plus jeune en 1955.
J’étais un enfant silencieux. Dès l’âge de quatre ans, j’avais conscience de moi-même. Sans poser de questions, j’essayais de tout apprendre par moi-même. Dès mon enfance, j’observais et j’évaluais les comportements des autres.
Le plus étonnant de mes souvenirs est qu’à l’âge de dix ans, je méditais sur la vie, me plaçant au-dessus des événements quotidiens et des soucis de la famille. Aux problèmes de la vie je trouvais des solutions qui me satisfaisaient et me convainquaient. J’étais choqué par la conduite des plus grands que moi, quand ils se comportaient de façon inconvenante, mais je ne disais rien et ne manifestais pas ma désapprobation.
Plus tard, j’ai vécu à Alexandrie avec mon frère aîné Naguib. Ma mère est morte en 1934, à la suite d’une maladie longue et éprouvante.
Une mère exemplaire qui ne cessait pas de prier
Ma mère était d’une piété incroyable. Avant de tomber malade, elle entrait souvent dans une chambre séparée, et je m’attachais à ses vêtements avec insistance pour qu’elle me permette d’y entrer avec elle. Elle passait des heures à prier en restant debout et en se prosternant. Elle ne cessait de se prosterner des centaines de fois. J’essayais de faire de même pour l’imiter et, chose étonnante, je ressentais cela comme une nécessité : tant que ma mère se prosternait, je devais faire de même ; mais mes forces me trahissaient et je m’arrêtais à la regarder en silence pendant qu’elle se prosternait et se relevait sans répit, comme une sakyeh, pendant des heures, tenant en main sa croix et son chapelet. Qu’est ce que la prière ? Cela m’intriguait ; mais à chaque fois, je ressentais un désir ardent de participer à la prière de ma mère. Je l’observais attentivement, attendant qu’elle entre dans cette chambre, et mon cœur sautait de joie quand elle me permettait d’y entrer avec elle, et quand je commençais à me prosterner.
Ma mère est morte en 1934 – l’année de mon départ pour Alexandrie –suite à une maladie accablante, une hémiplégie qui a duré sept longues années, au cours desquelles nous la servions. Durant ces années, elle ne cessait de prier. Elle se réveillait à minuit pour prier, en restant assise, car elle ne pouvait ni se lever ni bouger, ni même prononcer d’autres paroles que celle-ci, la plus sainte qu’ait connue la langue humaine : Kyrie eleisson ! Elle la répétait lentement, des centaines de fois à chacune des sept heures de prière du jour et de la nuit. Elle ne se plaignait jamais, ni ne murmurait. Nous la vénérions beaucoup et nous avions confiance en ses prières, que nous demandions avec insistance, surtout au moment des examens. Elle empreignait la famille de piété et d’esprit de prière.
Un jour mon père est retourné à la maison à minuit. Il travaillait de nuit (comme employé des chemins de fer) et revenait à minuit pour dormir. Quant à elle, elle se réveillait à minuit pour prier les Matines dans son lit. Son chapelet lui tombait parfois des mains, en faisant un bruit insolite, qui réveillait mon père au moment où il commençait à s’endormir. Une fois, il se leva pour lui intimer de dormir, mais il vit la croix qui était dans ses mains toute lumineuse. Effrayé, il ne lui dit rien. Le matin, il nous appela pour nous dire : «Votre mère, que personne ne lui dise rien de contrariant. Laissez-la prier comme elle veut». Et il lui consacra une chambre séparée pour qu’elle puisse prier à volonté. Dès ce moment, il fut saisi par la crainte de Dieu ; il acheta une agpeya (un Horologion) et commença lui aussi à dire les prières des heures, comme les jeunes des Écoles du dimanche. Cela se passait en 1928 ou 1929.
Apparition des saints pèlerins
C’était une nuit d’hiver. Mon père était au travail, et toute la famille dormait. J’avais sept ans, car la même année on m’a pris en photo avec à côté de moi une pancarte portant la date : 1926. Peu après minuit, je me suis levé ; ma sœur aînée était à côté de moi. Je vis dans la salle, autour de la table, trois hommes ayant de longues barbes, portant des tuniques rouges telles que je n’en ai jamais vues. Ils parlaient ensemble et avaient devant eux de la nourriture (du pain et du fromage) et une bougie allumée. Or, nous n’employions jamais de bougies et je n’en avais jamais vu. J’ai essayé de réveiller ma sœur, mais elle m’a grondé en disant qu’elle ne voyait rien. Et comme j’insistais beaucoup, elle s’est levée et les a vus ; mais elle dit : «Ce sont des amis de papa» et elle se rendormit. En vain j’essayais de la convaincre d’aller avec moi vers eux, mais elle me réprimanda. Je suis resté assis à les observer, tout joyeux et stupéfait. Eux aussi me regardaient. Au bout d’une heure j’ai été vaincu par le sommeil, mais à la pointe du jour, je réveillais ma mère et mes frères et ils virent de fait les restes du pain et du fromage et des bouts de bougies. Ils furent stupéfaits de l’histoire, surtout que nous n’avions point de bougies à la maison. Et pour la première fois j’entendis ma mère dire que ce sont “les saints pèlerins”, et que c’est une grande bénédiction pour notre maison qu’ils la visitent, car nous étions pauvres.
Qui étaient ces “pèlerins” ? Leur vision à cet âge m’avait rempli de crainte révérencielle. J’en étais très impressionné, mais je n’en disais rien. J’y réfléchissais de toute mon âme, de toute mon intelligence et de toute ma sensibilité. Était-ce bien parce que nous étions pauvres – comme disait maman – qu’ils sont venus et ont pris de notre pain et de notre fromage pour bénir notre maison ? Mais pourquoi personne d’autre que moi ne les a vus ? Étais-je différent de mes autres frères ? M’était-il demandé quelque chose ? Cet événement a augmenté la profondeur de ma prière. Depuis ce jour jusqu’à l’heure présente, je ne puis prier sans fermer les yeux et verser des larmes, ne serait-ce que pour une simple prière avant le repas.
J’étais un enfant privé de tout superflu, ou disons des plaisirs de l’enfance. Je n’ai jamais reçu d’étrennes, ni rien de ce dont jouissent les autres enfants : jouets, beaux habits, friandises. Et cependant, je n’ai jamais eu un sentiment de privation ; j’étais satisfait de mon sort et je n’en désirais pas d’autre. À l’école, je passais mes récréations seul, tandis que les autres enfants allaient à la cantine pour acheter des sandwichs et des douceurs. Le standard de vie des familles qui envoyaient leurs enfants à l’école gouvernementale de Mansourah était fort élevé. Lorsque mes camarades m’offraient de ce qu’ils avaient, je n’en prenais pas, et je me souvenais avec compassion de mon père pauvre, en étant bien résolu de vivre cette pauvreté et de m’en satisfaire.
Il est étonnant que ce sentiment d’une pauvreté volontairement acceptée se greffait petit à petit dans mon for intérieur sur le sentiment que j’avais en entrant avec ma mère dans sa chambre de prière. Je sentais que la prière s’accommodait bien d’une vie de privation acceptée, et que ce sentiment de privation ne devenait acceptable, voire désirable, que grâce à ce que l’on ressent en entrant dans la chambre de prière.
Une autre chose étonnante encore était le lien que je faisais entre ce que, d’une part, j’entendais ma mère dire des centaines de fois dans sa prière : «Accepte-moi en rançon pour mes enfants. Que le mal ne les touche pas. Que je sois leur rançon», et de l’autre, les corvées auxquelles me soumettaient mes frères ; ces corvées je les acceptais de bon cœur, sans me plaindre, car j’étais pénétré de la prière de ma mère : «Que je sois leur rançon»!
Avec les étudiants (1935 - 1944)
Mon père a été transféré de Mansourah à Suez, puis à Menouf. À mon retour d’Alexandrie, à la fin de mes études préparatoires, je suis entré à l’école secondaire de Shebin el Kom, et parce que mon père était employé des chemins de fer, on m’a donné un abonnement gratuit en seconde classe. Chaque matin je partais donc dans un compartiment de seconde classe pour Shebin el Kom et j’en retournais en fin de journée. C’est alors que ma personnalité commença à se manifester au milieu des autres étudiants. Dès que je m’asseyais dans un compartiment, le matin à l’aller ou le soir au retour, les étudiants qui étaient sur le train se divisaient en deux groupes : ceux qui blaguaient, chahutaient, courraient et faisaient du tapage, et ceux qui se serraient autour de moi dans le compartiment, pour écouter ma conversation sous forme de questions et de réponses. Les étudiants trouvaient en moi une aide inépuisable pour répondre aux questions qui les préoccupaient dans tous les domaines. Et comme je n’aime pas ergoter ni me faire valoir dans la discussion, ceux qui aiment cela ne trouvaient avec moi aucune occasion de le faire. C’est ainsi que je suis resté pendant deux ans l’ami et le conseiller fidèle des étudiants, et peut-être un exemple discret de conduite et d’ouverture.
J’avais la confiance de mes professeurs à l’école secondaire et plus tard à l’université. Et j’étais l’ami de tous les étudiants, en particulier de ceux qui étaient motivés politiquement. Ils trouvaient en moi un conseiller fiable, parfois même un meneur ou un pionnier. J’ai aidé dans leurs thèses de maîtrise et de doctorat les répétiteurs qui m’enseignaient. Je faisais cela avec une humilité et une simplicité qui les encourageaient à profiter de moi sans en éprouver de gêne. Je découvrais que je dépassais les autres étudiants par la profondeur de ma réflexion et par la perception du côté caché des vérités. Je ne sais pas comment je suis arrivé à cela. Bien que mes lectures fussent peu nombreuses, ma faculté d’observation était profonde et intuitive et me découvrait l’intérieur des réalités.
Premiers contacts avec les Écoles du dimanche (1940 – 1943)
Alors que j’habitais au Caire dans le quartier de Manial el Roda (vers 1940 - 1943), mes pas m’ont conduit une fois vers l’église de Guizah, pour y rencontrer un de mes camarades (Awad Basilios, actuellement pharmacien à Alexandrie). À son domicile on m’a dit qu’il était à cette église pour assister à une réunion de prière. J’y suis allé et j’y ai assisté à cette réunion de prière. A la fin de celle-ci, ils m’ont demandé de prier. C’était la première fois qu’il m’était demandé de prier au milieu de l’église ; mais sans hésiter, je me suis mis à prier avec enthousiasme, car lorsque je prie, je suis sincère avec moi-même et je me sens en présence de Dieu. Après la prière, j’ai été étonné de voir le groupe m’entourer. C’était l’élite des jeunes universitaires, accoutumés depuis longtemps à la prière et à la prédication. Quant à moi, c’était la première fois que je priais en public et que j’entendais parler du service de la Parole. Ils me demandaient mon nom et qui j’étais et qu’est ce qui m’avait fait venir à l’église. Je compris que ma prière les avait touchés. Ils me demandèrent une parole d’exhortation. J’en fus surpris, car ils n’avaient pas besoin d’être exhortés, mais je compris qu’ils voulaient me découvrir et je me suis exécuté selon leur désir.
[À ce propos il convient de mentionner la relation spéciale entre le Père Matta el Maskine et trois autres de ses compagnons des Écoles du dimanche. Ils furent les quatre premiers jeunes universitaires qui décidèrent en 1948 de consacrer leur vie au Seigneur : Saad Aziz (Anba Samuel), Youssef Iskandar (le Père Matta el Maskine), Zarif Abd Allah (le Père Boulos Boulos, curé à Damanhour) et Wahib Zaki (le Père Salib Sourial, curé de Guizah). Ils veillaient et priaient ensemble dans la maison de Saad Aziz, comme l’a mentionné le Père Matta el Maskine à l’occasion de la mort d’Anba Samuel : «Sa maison était le lieu favori de nos rencontres. S’y rassemblaient les jeunes les plus fervents qu’ait connus cette génération. On s’y réunissait pour des veillées spirituelles qui se prolongeaient dans la prière jusqu’au matin. C’est dans sa maison que s’est répandu sur nous tous l’Esprit de consécration ; le Seigneur nous a appelés à son service et chacun de nous a suivi sa vocation propre» (Revue St-Marc, octobre 1981, p. 3).]
J’ai trouvé dans les relations religieuses ce que je n’ai pas trouvé dans la politique : un groupe avec lequel j’ai pu parler – en toute simplicité – des questions spirituelles. Mais j’ai ressenti, ou plutôt ils m’ont fait ressentir qu’en profondeur je les dépassais au plan spirituel, intellectuel et même biblique.
Une expérience douloureuse du fanatisme confessionnel
Je reçus un grand choc, un soir où nous étions réunis dans la maison de Saad Aziz à Guizah (devenu plus tard Anba Samuel). Au cours de cette réunion amicale, un des participants souleva une question sur nos relations avec les protestants. Un responsable des Écoles du dimanche répondit de façon à faire comprendre que nous ne devions pas avoir de relations avec eux. Je me suis mis à me demander pourquoi. La discussion évolua et aboutit à la réponse suivante (l’intervenant était feu l’ingénieur Yassa Hanna, directeur à la compagnie Marconi de TSF) : “Nous ne devons tendre la main qu’à ceux qui partagent nos convictions”. J’ai protesté en disant que cela mène à l’isolement et que ce n’est pas conforme à l’Évangile. Puis à mon tour j’ai posé une question embarrassante mais décisive : les protestants et les catholiques entreront-ils au Royaume ? Le président de l’assemblée – Zarif Abd Allah – se saisit de cette question et demanda à chacun d’y répondre à son tour. Il y avait là une vingtaine de jeunes. La réponse unanime était que de toute évidence ni les protestants ni les catholiques n’entreront au Royaume. Autrement quelle serait la valeur de l’orthodoxie ? Je réalisai alors que j’étais en présence d’une catastrophe à la fois religieuse, civile et sociale. Mais à partir de ce sondage, je commençai à comprendre les réalités qui m’entouraient.
Le monde a souffert du conflit entre les confessions religieuses de la même façon qu’il a souffert du conflit entre les partis politiques, et je ne m’éloignerais pas beaucoup de la vérité en disant que l’origine du conflit religieux confessionnel est politique. L’Égypte, de façon particulière a souffert de ces deux sortes de conflits et elle continue à en souffrir.
C’est l’obscurantisme et l’étroitesse d’esprit. C’est le repliement sur soi-même dans un horizon subjectif et une vision étroite des choses.
C’est l’isolement qui nous a été imposé, à nous les orthodoxes d’Égypte, depuis le concile de Chalcédoine (451), par un blocus culturel et linguistique qui a entravé tout développement. Depuis Chalcédoine, nous avons perdu, nous les orthodoxes d’Égypte, toutes nos relations avec le monde extérieur. Nous avons perdu notre connaissance du grec, langue de la théologie, de la philosophie et de la science. Et avec elle, nous avons perdu l’approfondissement de notre passé et la possibilité de nous développer dans l’avenir. Nous avons laissé perdre notre héritage patristique. Puis, nous nous sommes imposé par nos propres mains cet isolement, et à chaque fois que Dieu a voulu nous faire sortir de cette impasse, nous avons scellé cet isolement par notre fanatisme, en raison de la peur, de la solitude et de l’isolement confessionnel. Deux cents ans après Chalcédoine, l’invasion arabe et l’entrée de l’Islam sont venus aggraver cet isolement en nous faisant perdre une seconde langue, le copte, notre langue maternelle. Un ordre d’un calife imposa de couper la langue à quiconque parlerait le copte, et c’est ainsi que notre langue a été coupée, sans amputation, et que le copte a disparu, cette langue de notre nation et de notre première civilisation. Les coptes se sont réveillés ayant oublié leur langue originale. Aussi, tous les manuscrits écrits en grec et en copte qui, par centaines de milliers, remplissaient les bibliothèques des maisons, des églises et des monastères, se sont trouvés dépourvus de valeur, de sens et d’influence. Semblables à la pierre de Rosette, ils durent attendre qu’on vienne les traduire à leurs propres enfants, et c’est pourquoi ceux-ci les vendaient avec indifférence aux trafiquants et aux voleurs de manuscrits.
À partir du septième siècle jusqu’aujourd’hui, les coptes sont parvenus au comble de la faiblesse. Ne t’étonne donc pas, cher lecteur, si tu entends dire que nous sommes des fanatiques. Ce sont l’isolement, la peur et l’ignorance qui nous ont imposé ce malheureux fanatisme intellectuel et dogmatique. Ce fanatisme – qui n’est en réalité que l’effet de l’obscurantisme et de l’étroitesse d’esprit – s’est emparé de nous jusqu’à régir toutes nos relations.
Depuis cette soirée décisive où nous étions réunis dans la maison de Saad Aziz, j’ai commencé à prendre conscience de la gravité de cette attitude fanatique. C’était l’élite de la jeunesse qui, sur tous les plans, commençait à progresser, surtout au plan religieux, une jeunesse qui recommençait à fréquenter l’église, après l’avoir désertée pendant des centaines d’années, mais, hélas, elle avait le plus grand besoin qu’on la fasse sortir d’elle-même et qu’on lui éclaire le chemin de la liberté de l’Esprit, le chemin du Christ.
Mes relations avec ces jeunes commencèrent à devenir prudentes, car ce que j’enseignais différait de ce qu’ils enseignaient, sans que pour cela je ne trahisse aucune des vérités de la foi. Mais j’ai dû en faire les frais. Car la convivialité avec ceux dont la doctrine diffère de la nôtre exige une grande ouverture de cœur et d’esprit. Et d’où viendrait cette ouverture, alors que chacun est prisonnier de lui-même, de son école et de la mentalité du dirigeant du mouvement religieux auquel il adhère ? Il se meut donc sur deux trajectoires qui lui sont imposées : la première par sa famille, pour réussir ses examens, et la seconde par le dirigeant du mouvement, ou comme on l’appelle, le responsable des Écoles du dimanche, pour assurer son salut (orthodoxe).
Je compris que, de ce point de vue, il n’y avait pas de différence entre science, politique et religion. Chacun de ces domaines a besoin d’un dirigeant très honnête, très ouvert et très libre, comme aussi d’un disciple qui ne vende pas son intelligence à tout venant, et qui ne suive pas le troupeau pour entrer indifféremment dans n’importe quelle bergerie. Le pire que j’ai expérimenté ou observé dans ces années de jeunesse, était de voir comment le dirigeant (qu’il soit professeur, chef religieux ou responsable des Écoles du dimanche) impose ses propres idées à ceux qui le suivent, au point de les assujettir ; et comment les jeunes, avec enthousiasme, fidélité et confiance, vendent naïvement leur intelligence et leur personne à ceux qui ne sont pas dignes de cette confiance. Au fil des ans, les jeunes de cette génération découvrent qu’on les a abusés et qu’ils ont suivi des personnes incapables qui leur ont fait faire fausse route et les ont privés d’une vision saine de la vie. Tel est le malheur de notre génération.
Détail
d'une icône du Christ
Une conduite exemplaire devant les non chrétiens
J’avais bonne réputation dans le quartier de Manial er Roda où j’habitais. La propriétaire de l’immeuble (qui habitait le quatrième étage, tandis que j’habitais le troisième) parlait à ses voisins de ma conduite et de mes mœurs, et cela me valait leur respect. De fait, j’étais attentif à bien me comporter, car les étudiants avaient la pire des réputations dans ce quartier.
Tous les soirs, entre 4h00 et 5h30, j’allais marcher sur les bords du Nil. Je contemplais ce fleuve puissant, majestueux, qui sans cesse, se renouvelle sans être consommé par le temps. Je m’arrêtais au milieu du pont Abbas et je retrouvais les mêmes sentiments que j’avais à Mansourah, à l’âge de sept ans : le passé prenait forme devant moi, comme une réalité toujours actuelle, puis subitement l’écart temporel s’évanouissait de ma conscience, et je sentais mon être se dilater ; avec force, il sondait les profondeurs des temps anciens ; il les pénétrait et les assimilait. Je me complaisais dans ce sentiment délicieux et enivrant, comme si j’étais hors de mon époque et de ma génération. Le sentiment d’être étranger s’emparait de moi et mes larmes coulaient. Puis, d’un pas rapide, je retournais vers ma maison, comme pour me défaire de ce ravissement auquel je m’étais livré et qui menaçait de m’engloutir. C’était comme si je m’étais abreuvé de l’esprit des anciens.
Un jour, je n’étais pas sorti. Étendu sur mon lit, j’entendais à travers les persiennes fermées de la fenêtre, la conversation de la propriétaire (une musulmane) avec ses voisins de l’immeuble d’à côté. Ils parlaient de ma conduite et disaient comment je n’ai jamais été inconvenant envers mes voisins. (C’étaient des turcs musulmans et leur fils était répétiteur à la Faculté d’Agriculture). Comme ils demandaient pourquoi j’étais si différent des autres étudiants, la propriétaire leur dit : «C’est parce qu’il est chrétien». J’ai été ému de cette réponse et j’ai perçu la valeur du témoignage qu’une bonne conduite rend au Christ. Cela me remplit de bonheur et de consolation, car je ne me suis jamais permis de comportement inconvenant : Je ne me sentais privé de rien, et je ne pouvais contrevenir à ma conscience. Elle était fermement attachée au Seigneur, en toute fidélité et sincérité.
Mes compagnons d’étude avaient d’excellentes relations avec moi. Je les aimais tous, je les respectais, et dans les limites de la décence, je ne refusais pas de participer à leur rire et à leurs plaisanteries. Ils me respectaient beaucoup, et devant moi ils se gardaient de parler de façon impudique.
J’étais indistinctement l’ami des musulmans et des chrétiens. Cela était connu dans toute la faculté et me valait l’estime de tous. Toutefois, mon amitié et ma sympathie pour les musulmans déconcertaient les chrétiens, comme si elles pouvaient leur faire du tort. Je m’en étonnais et leur expliquais avec ardeur que le sentiment chrétien authentique doit être un sentiment d’humanité avant tout autre chose.
Toutefois Je devais faire effort pour surmonter les obstacles qui me séparaient des musulmans, obstacles hérités de longue date de part et d’autre. Mais je découvrais, jour après jour, que ces obstacles étaient artificiels, sans raison ni aucun fondement naturel ni ethnique. Ce sont plutôt la réticence des chrétiens, leur esprit de ghetto et le caractère secret de leur vie et de leurs pratiques religieuses qui provoquent chez les musulmans le sentiment qu’ils leur sont étrangers. Et ce sentiment peut provoquer une tendance à les persécuter, selon l’adage bien vérifié en l’occurrence : tout fuyard suscite un poursuivant.
D’autre part, je ressentais que la doctrine chrétienne de la rémission par le sang du Christ, offert en victime permanente, suscite dans le subconscient musulman une espèce de sentiment de privation, du fait qu’ils n’ont pas chez eux un tel moyen puissant et efficace. Avec le temps, ce sentiment de privation se change en une tendance à la provocation et à l’agressivité. Tout cela se passe dans le subconscient et nous n’en voyons que ce qui émerge à la surface, sous forme de jalousie et d’oppression. Toutefois, à bien y réfléchir, nous découvrons que nous en sommes nous-mêmes la cause. Ils n’en sont pas blâmables et nous n’avons pas à leur rendre – par sottise et étroitesse d’esprit – haine pour haine, ni à persévérer dans l’isolement et le secret. Dans la mesure où nous nous approchons d’eux, ils perdent leur tendance à nous poursuivre, et dans la mesure où nous leur découvrons notre foi et notre doctrine – sans avoir l’intention de les convertir – ils admettent avec bienveillance notre proximité et ils tolèrent notre foi.
Cette question est devenue une de celles qui ont le plus préoccupé mon esprit, après que je sois devenu moine, responsable et père spirituel. J’ai écrit un article sur le fanatisme religieux1, un livre sur le comportement du chrétien dans la société2, et un autre sur les relations entre les chrétiens et l’État3.
Je n’ai rien étudié d’autre que la chimie et la pharmacologie. Je n’ai jamais eu la chance d’avoir entre les mains un livre de littérature ou de philosophie, quelque étonnant que cela puisse paraître à qui me connaît. Notre maison était très pauvre ; mes frères ont tous étudié dans des facultés techniques et je ne les ai jamais entendu parler d’un écrivain moderne ni d’un philosophe. Bien que je fusse très avide de connaître la littérature et la philosophie, mes moyens matériels ne me le permettaient pas. Ce que je recevais de mon père pour vivre au Caire, payer le loyer, acheter mes livres et ma nourriture ne dépassait pas 5 L.E. par mois, entre 1938 et 1943 (à part, bien sûr, les frais de l’Université). Je n’avais pas un sou de plus.
Quand j’ai commencé à travailler dans les hôpitaux après avoir terminé mes études, je ne recevais que 12 L.E par mois (c’était en temps de guerre et j’étais réquisitionné). Cela suffisait à peine à payer mon logement et ma nourriture. Lorsque plus tard j’ai eu à monter et à diriger une pharmacie à Damanhour, pour lire, je n’avais pas une minute de libre. Et lorsque j’ai quitté le monde pour entrer au Deir Anba Samuel, ce monastère était dépourvu de bibliothèque ; il ne s’y trouvait aucun livre, pas même une revue ancienne ou nouvelle, pas la moindre trace de science religieuse ou profane.
Succès professionnel (1944 - 1948)
Après avoir terminé mon temps de réquisition, je suis retourné à Alexandrie pour travailler à la Grande Pharmacie du Dr Abd Allah, à Manchiet, puis j’ai ouvert ma propre pharmacie à Damanhour. Elle eut beaucoup de succès.
Toutefois ma nostalgie de la liberté en Dieu augmentait. En vain avais-je essayé de la trouver dans les domaines de la science, de la politique et de la religion. Mais où trouver cette liberté dans un monde asservi, dans notre Égypte surtout ? La science y est entravée par le fanatisme et l’oppression, la politique y est soumise aux idoles humaines qui subjuguent le peuple, au point que celui-ci s’y est accoutumé et s’est pris à les adorer ; la religion y est mise sous tutelle, et l’Évangile y est enchaîné et relégué dans un coin de l’Église. Celle-ci le lie et le délie à volonté, et elle le couvre du revêtement qu’elle désire, pour qu’il soit orthodoxe, catholique ou protestant.
Mon aspiration vers Dieu et mon amour pour lui augmentaient de plus en plus. Chaque soir, après avoir terminé mon travail à la pharmacie, je retournais à ma maison de Damanhour vers onze heures du soir. Je me mettais en prière et dans son entier je priais l’agpeya, l’office des Heures. De mes larmes je mouillais mon lit. «Où te trouver, Seigneur ? Je t’ai cherché partout et nulle part je ne t’ai trouvé : ni dans la science, ni dans la politique, ni dans le fanatisme des chefs religieux, ni dans l’argent qui a commencé à remplir mon coffre. Où te trouver ? » Cette question était l’objet de ma prière et de mes larmes, le jour pendant le travail, et la nuit pendant la prière.
Cette période a été la plus délicate et la plus décisive de ma vie. Une perception profonde et féconde de Dieu, de la vérité, de la liberté et de l'amour se levait dans mon cœur, en réponse à ma prière et à mes larmes. Je commençais à ressentir qu’une puissance supérieure à ma propre volonté était à l’œuvre à l’intérieur de mon être.
Je demandais avec insistance à Dieu de faciliter mon exode hors du monde, pour vivre libre de tout être humain, ou plutôt pour vivre pleinement ma liberté en Dieu, ou plus encore, pour vivre en Dieu. Une telle démarche était incroyable à mes yeux et aux yeux de tous mes parents et amis. J’étais arrivé à un tel succès dans mon travail que les autres pharmacies de la ville devaient faire grand cas de la mienne. Quand je l’ai achetée (après une fermeture qui a duré quatre ans, parce que son propriétaire n’était pas pharmacien), elle occupait, en fait de capacité d’achats et de ventes, la dernière place parmi les six pharmacies de la ville, mais au bout d’une année, elle était devenue la seconde. De plus, elle jouissait d’une réputation d’honnêteté et de précision. Et moi-même je passais pour un homme sociable qui aime les gens et en est aimé ; au point que les jours de foire, on pouvait remarquer que les villageois des alentours de Damanhour se rassemblaient autour de ma pharmacie. Ne sachant pas mon nom, ils m’appelaient “le Copte”. De plus, les principales personnalités de la ville commençaient à venir chaque soir dans ma pharmacie pour prendre un moment de détente. Ils en devenaient les habitués : le chef de la police de la ville et son adjoint, les hauts fonctionnaires de la municipalité. Fait plus curieux (et cela est significatif de ce que j’ai écrit sur ma conception de Dieu et mes relations avec les musulmans), le chef des Frères musulmans était mon ami déclaré. Un jour il y eut une émeute de fanatiques, suscitée par les voyous de la ville (Damanhour était une ville de fanatiques). Et le chef des Frères musulmans apprit que, sur l’instigation des propriétaires des autres pharmacies et de quelques personnalités musulmanes, on projetait de saccager ma pharmacie. Cet homme s’assit à la porte de ma pharmacie durant toute cette journée, sans rien me faire savoir. Et j’ai été stupéfait, quand l’émeute s’est approchée de chez moi, de voir cet homme se poster au milieu de la porte et leur faire signe de passer. Ils s’arrêtèrent, très hésitants, puis s’en allèrent. Et finalement j’ai appris l’affaire. Le fils de ce chef des Frères musulmans est devenu le chef de la police au Wadi Natroun en 1976, alors que j’étais moine au monastère de Saint Macaire. Il vint me faire visite, me fit savoir qui il était et me rappela l’affection que son père me portait. Ce dernier est actuellement chef adjoint à la Sécurité nationale.
De même mes relations avec ma famille et mes amis étaient joviales et n’avaient rien qui puisse faire prévoir que je quitterais le monde. Tout cela rendait très ardu pour moi et pour les autres le fait de vendre ma pharmacie et de partir. Il m’a fallu rencontrer chaque jour des centaines de personnes qui venaient spécialement pour me convaincre de changer d’avis. Parmi eux se trouvaient notamment les fonctionnaires de la municipalité, car je leur accordais des prêts de 10 à 20 L.E. pour les dépanner dans leurs difficultés, surtout au moment de la rentrée scolaire, et ils les remboursaient par versements mensuels sans intérêt. La plupart étaient musulmans, et ils étaient les plus émus de ma décision de partir et essayaient par tous les moyens de m’en dissuader.
Évolution spirituelle intérieure
Depuis mon enfance, quand j’avais quatre ans, j’ai ressenti des aspirations spirituelles qui venaient du plus profond de moi-même. Je me sentais étranger à mes frères et à mes amis, comme si j’étais d’un autre monde, au point que ma famille le remarquait. Dans les réunions de prière familiale, on me demandait – alors que j’étais encore enfant – de commencer et de terminer la prière. Je ne refusais pas de le faire, car je sentais que je me comportais avec naturel. Jusqu’à présent, je n’essaye pas de feindre l’humilité en refusant de prier ou de donner mon avis dans les questions spirituelles. Je considère que l’humilité véritable consiste à paraître tel qu’on est en vérité.
Devenu jeune homme, je désirais vivement lire l’Évangile et acquérir la connaissance spirituelle. Je lisais sans recourir à personne, et finalement je découvris que ma connaissance de l’Écriture Sainte et ma perception de Dieu et des vérités de la foi étaient devenues supérieures à celles des autres personnes avec qui je dialoguais. Cela se manifestait aussi quand je répondais à leurs questions, ou quand on me demandait de prêcher. Je n’ai jamais enseigné dans les Écoles du dimanche, bien que, pendant ma jeunesse, j’ai été l’ami de tous les responsables. Leur méthode me semblait stérile et les moyens qu’ils employaient dans l’enseignement de la religion artificiels, copiés sur ceux de l’enseignement profane. Je persiste à ne pas admettre cette méthode.
Les aspirations spirituelles ne cessaient de se développer dans les profondeurs de mon être. Ma perception de la vie éternelle gagnait en profondeur jusqu’à me mettre devant un choix inéluctable : soit rester dans le monde pour acheter, vendre, m’enrichir et fonder une famille, soit m’élancer vers Dieu, pour l’aimer, le connaître, me réjouir en Lui et croître sans entrave. Tous les obstacles – et ils étaient immenses et redoutables – ne purent me retenir et je partis pour le monastère. J’étais de ma génération le premier jeune universitaire à s’engager dans la vie monastique. Cette démarche eut lieu en mai 1948.
En chemin vers la vie monastique (1948)
Cette décision prise dans mon for intérieur, je mettais un terme de six mois pour la mettre à exécution. Je demandais au Seigneur de me libérer sans trop de dommages, car j’avais de fortes sommes en dépôt chez diverses personnes. Dieu me fit miséricorde et, exactement au temps fixé, je trouvai toutes les circonstances favorables. Je m’élançai, laissant derrière moi ma maison avec le mobilier, mes livres, mes habits et mes valises. Tout l’argent, je l’avais distribué. Je quittai Damanhour à dix heures du soir, n’ayant sur moi que 2 L.E. pour les frais de transport jusqu’au monastère.
Ce fut un exode au vrai sens du mot. J’étais comme un oiseau s’élançant avec joie dans les hauteurs, sans être entravé par sa pesanteur. Déployant ses ailes, il se sent porté par une force supérieure. De là-haut, il voit toutes les choses petites, très petites, plus petites que ses propres ailes. Apercevant celles-ci, il est plein de fierté de se sentir libre et de voir le monde entier s’enfuir sous son regard :
Oui, telle est la sagesse du Créateur dans tout ce qu’Il a créé. Si la pomme n’était pas mangée, ses pépins ne seraient pas essaimés sur la terre et de nouveaux pommiers ne pousseraient pas pour les enfants de demain. C’est pourquoi Dieu a parfumé les fleurs de sorte que leur fragrance soit irrésistible à l’homme. Il a donné à la pomme des couleurs qui séduisent les plus indifférents. Il a embelli les oiseaux aux yeux des oiseaux, l’être humain aux yeux de son semblable, pour que la vie continue sur terre tant que Dieu le voudra. Je saisissais bien tout cela, et je percevais la visée interne de la pomme et de la fleur, tout comme celle de la femme. Je n’y voyais que le désir de subsister sur terre. Et moi, dans les profondeurs de mon être, j’avais le sentiment de durer éternellement pour une vie qui n’est pas de cette terre, ni sur cette terre, une vie qui a aussi sa beauté fascinante et sa séduction. Celle-ci s’était emparée de ma volonté et avait triomphé de ma retenue et de ma patience. Ayant déployé mes ailes et m’étant élancé vers les hauteurs, je m’étais échappé secrètement de ce filet et j’avais dégagé mon cou de sa prise.
Je n’ai jamais abandonné la science profane. Plus je m’élevais et m’efforçais de planer dans les hautes sphères de la vérité supérieure, la vérité absolue de Dieu, par l’Esprit, loin de tout ce qui est terrestre et temporel, plus la terre resplendissait devant moi d’une lumière ineffable, les vérités de la science m’apparaissaient plus vraies, et la création plus digne et plus glorieuse, dans sa faiblesse même comme dans sa force. Toutes les faiblesses que j’avais méprisées auparavant dans l’humanité, tant au niveau de sa pensée, de sa conduite ou de sa foi, je les assumais maintenant et je les portais sur mes ailes, pour m’envoler, portant la faiblesse de toute la création, dans les hautes sphères de la liberté de l’Esprit, sans en être alourdi ni accablé, comme je l’avais été auparavant. J’étais, moi, cette faiblesse même, cette incapacité, cette insignifiance, cette étroitesse, cet aveuglement et toute déficience, mais je volais et je continuais à voler en assumant tout cela, car dans la nouvelle existence ouverte devant moi, dans les hautes sphères de la vérité et de la lumière, sous l’attirance de l’amour divin, il n’y a ni poids ni considération pour la faiblesse et pour quelque déficience que ce soit. La faiblesse de l’humanité n’a de poids et ne devient accablante qu’en l’absence de l’amour divin, c’est-à-dire en l’absence de la réalité suprême !
Je suis parti pour le monastère, avec une force et des sentiments que je ne saurais exprimer. La vie monastique n’était pas pour moi un but en soi. Mon but était plutôt de me libérer des hommes et de tout ce qui attache les hommes à la poussière de la terre, jusqu’à les ensevelir sous cette même poussière. J’aimais pourtant beaucoup les hommes, comme je l’ai dit, et les hommes jusqu’à ce moment m’aimaient et me poursuivaient partout où je me trouvais. C’était là d’ailleurs une des principales entraves dans ma vie et dans ma marche vers la liberté, vers la libération intérieure. J’ai adopté la vie monastique comme celle où je pourrai le mieux vivre ma liberté avec Dieu et me libérer de moi-même et de tout ce qui m’attache à la terre, à travers les hommes.
Je suis donc parti pour le monastère, croyant que là-bas j’atteindrais finalement le grand désir de ma vie, et je ne me doutais pas que je l’avais déjà atteint avant de mettre les pieds au monastère.
Dès le premier jour de ma vie au monastère, j’ai expérimenté avec force, simplicité et profondeur la vie avec Dieu dans l’hésychia. Durant les trois premières années, je passais la nuit entière en prière. Je ne pouvais pas dormir, car mon cœur battait très fort, avec une délectation d’amour et de joie que ne connaissent que les amoureux. (Je n’ai pas expérimenté l’amour de la femme, et m’y suis refusé délibérément). Si je m’endormais, je me réveillais vite. Aussi le sommeil se limitait-il aux moments d’épuisement, où je ne pouvais rien faire que me livrer à lui, vaincu par la fatigue.
J’ai aimé Dieu d’un amour sans égal, d’un amour secret qui jaillissait de tout mon être, de façon consciente et authentique. Je prenais pour émules les plus célèbres des Pères de l’Ancien Testament et du Nouveau. J’ai vécu spirituellement en leur compagnie, et je suis sûr que ma relation avec eux a été plus profonde, plus intense et plus réelle que si j’avais été leur contemporain. J’ai vécu avec Adam. J’ai ressenti les divers courants qui le tiraillaient dans ses relations avec Dieu, Ève et le démon. J’ai perçu la portée de sa chute, non comme une expérience qui m’était extérieure, mais dans mon for intérieur. Du fond de mon être je suis entré en relation avec Adam. J’ai également vécu longtemps, bien longtemps, avec Abraham, à un tel degré que je le sentais proche de moi. J’ai ressenti la foi de ce géant spirituel et j’y ai participé. Il en fut de même avec chaque personnalité de la Bible. Ma contemplation de chacune durait entre une semaine et trois mois. Parvenu au Nouveau Testament, un jour où je contemplais la Vierge Marie – c’était pendant le temps de Noël – et que je l’accompagnais dans son excursion rapide vers Elisabeth, ma perception spirituelle s’ouvrit subitement, et depuis ce moment (1949), ma contemplation débouche dans une sorte de vision mentale.
Dès mon entrée au monastère j’ai rencontré une dure épreuve pour l’idéal de vie que je venais d’atteindre. Ce fut pour moi une épreuve des plus dures au niveau de la charité. Dès ce moment et jusqu’à présent, la vie monastique n’a plus été qu’une suite d’épreuves et de purifications de ce à quoi j’étais parvenu avant de m’engager dans cette vie.
Conception servile de l’obéissance
À cette époque (au milieu du siècle passé), la vie monastique chez les jeunes comme chez les anciens était conçue comme un assujettissement aveugle aux hommes, sans la contrepartie divine qui reflète le passé rayonnant du monachisme en fait de liberté spirituelle. La vie monastique se réduisait à une sorte de soumission servile aux supérieurs, en s’astreignant à suivre leurs principes, à respecter leurs tendances personnelles (même non évangéliques) et à obéir à leurs ordres arbitraires, selon l’adage traditionnel : «Le monachisme est obéissance». Cette sentence est exacte ; c’est une vérité indiscutable. Toutefois l’origine de l’obéissance monastique était de se soumettre à un Père spirituel expérimenté, lui-même docile à Dieu. De la sorte, l’obéissance conduit à la liberté. Pour moi, l’obéissance devait se déployer dans les limites de l’Évangile et de la vérité, sans nuire à ma liberté dans la prière et l’activité spirituelle.
Dès le début de mon temps de probation monastique chez le supérieur du monastère (qui habitait au Caire), j’ai été heurté par sa tentative de me garder au Caire auprès de lui. Il me convoquait souvent pour me faire voir aux gens de toute condition, hommes et femmes. Il désirait me garder avec lui pour l’aider dans son ministère, de sorte que nous n’allions au monastère qu’occasionnellement, pour en recevoir seulement sa bénédiction. J’ai refusé fermement, disant que je désirais être consacré au monastère, pour vivre au monastère, sans en descendre. Ce fut l’origine d’une tension qui plus tard a augmenté. Mais de mon côté, c’était pour conserver l’intégrité de ma vie monastique et par fidélité à la vérité et au Christ même. Le temps en a montré le bien fondé.
La vie monastique telle que je l’ai expérimentée
Le plus grand apport spirituel que j’ai reçu de la vie monastique a été la connaissance minutieuse et détaillée de l’Ancien et du Nouveau Testament. J’ai vécu avec toutes les personnalités de la Bible, dans la prière et une méditation profonde et clairvoyante. J’ai pénétré le secret de leur vive relation au Seigneur. Cela a été pour moi une source à laquelle je m’abreuvais chaque jour, et je me pénétrais de connaissance, de vérité et de lumière, sans en avoir jamais assez. De la sorte, mes connaissances spirituelles se fondaient sur les relations vivantes que Dieu a eues avec l’humanité. Mon amour de Dieu dans la personne du Seigneur Jésus augmentait sans limites, et par cet amour, j’ai pénétré les mystères du Christ, je me suis approché intimement de la vérité que je recherchais et à laquelle j’aspirais. J’ai perçu et entendu, par l’esprit et par l’intellect, la réponse à toutes mes interrogations.
Je n’avais pas de Père spirituel proche de moi. Le supérieur du monastère (Deir Anba Samuel) vivait au Caire et n’a visité le monastère qu’une fois dans sa vie, avant que je n’y entre. Je n’avais pas non plus de compagnon avec qui je puisse trouver de consolation : tous les moines du monastère étaient illettrés, et le seul jeune entré avec moi – le Père Macary – était parti pour se joindre à un autre monastère (le Deir es-Sourian), où il devint prêtre, puis fut consacré évêque sous le nom de Anba Samuel et vécut au Caire le reste de ses jours.
Vers le Deir es-Sourian (mars 1951)
J’ai vécu dans mon premier monastère (le Deir Anba Samuel, près de Beni Suef) près de trois années, qui furent un temps de plénitude. J’y ai écrit mon premier livre La vie de prière orthodoxe4.
À cause d’une maladie aux yeux, je suis descendu du monastère (à l’initiative de feu l’archidiacre Ragheb Moftah). Mon Père spirituel, l’higoumène Mina qui vivait seul au Caire, dans son église du Vieux Caire, m’a demandé de le rencontrer pour nous réconcilier, car il m’avait enjoint de quitter le monastère pour me joindre au Deir es-Sourian et j’avais refusé. Nous nous sommes rencontrés et réconciliés. Sous son conseil et avec sa recommandation, j’ai été visiter les monastères du Wadi Natroun. À mon entrée au Deir es-Sourian, l’évêque supérieur du monastère me prit et me consacra prêtre (le 19 mars, fête de la Sainte Croix) sous le nom de Matta el Maskine (nom d’un saint du VIIIe siècle, fondateur de monastère à Assouan), pour me distinguer d’un autre moine qui portait le nom de Matta.
Premiers contacts après une solitude complète
Lorsque je descendis de mon monastère, après y avoir passé trois ans et que je me trouvais de passage au Caire, en chemin vers Deir es-Sourian, je découvris dans mes entretiens avec diverses personnalités, que mes perceptions spirituelles et ma compréhension de la Bible étaient devenues d’un tout autre ordre et d’une autre profondeur. J’essayais de limiter mes contacts, pour ne pas faire parler de moi.
Arrivé au Deir es-Sourian, je ne pus me faire à la vie en communauté, car elle était formaliste et ne pouvait convenir à quelqu’un qui désirait s’élancer librement dans l’adoration en esprit et en vérité. (Il n’y avait pas encore au monastère de Père spirituel capable de guider la vie communautaire au profit de la vie spirituelle).
[Il demanda alors et reçut la permission de l’évêque supérieur du monastère de vivre en ermite dans une grotte].
Je sortis donc et me creusai de mes propres mains une grotte à 40 minutes de marche du monastère. C’était le désert à perte de vue. Je suffisais à mes besoins et n’allais au monastère que tous les deux mois pour recevoir la communion.
[Avant qu’il ne se creuse une grotte, il a été l’hôte de l’ermite éthiopien Abd el Messih el Habashi, qui le reçut dans sa grotte pour deux semaines, en attendant qu’il se creuse sa propre grotte. Durant cette période, le P. Matta le servait et apprenait de lui comment vivre en ermite.]
Dans la grotte, près de Deir es-Sourian
Cette période est venue parfaire ma première vie monastique. Dans la solitude absolue, mon âme se sentait libre des hautes murailles et de leur fausse sécurité. Durant les nuits de pleine lune, les loups venaient visiter ma grotte. Ils cognaient à ma porte et jouaient devant la grotte toute la nuit. Une hyène est descendue une fois dans la vallée et s’est mise à rôder autour de la grotte. Et les serpents vivaient des restes de ma nourriture. Tout cela m’a rendu proche de la création et a élargi l’horizon de ma contemplation. J’aimais ces créatures et elles ne m’ont jamais nui.
Ma pensée devenait de plus en plus pénétrante. J’ai perçu la relation de Dieu au monde. J’ai senti ce qu’est l’éternité, l’absence du temps. J’ai respiré l’Esprit de Dieu et j’ai goûté une joie indicible. J’ai compris le sens de l’unicité de Dieu, de sa simplicité, de sa toute-puissance, de son ubiquité (qu’il existe partout en même temps) et de son aséité (qu’il existe nécessairement par lui-même), vérités qui sont parmi les plus profondes de la théologie. Je les ai vécues et ressenties. J’en ai acquis la certitude plus que celle de ma propre existence ou de l’existence du monde. Car la vérité de Dieu n’est pas fragmentaire. Si une des qualités de Dieu se manifeste à l’esprit humain – non par la réflexion, mais par la clairvoyance qui est elle-même pénétration réelle et expérimentale de la vérité – c’est un signe que l’esprit humain a commencé à s’ouvrir peu à peu à la connaissance de Dieu en soi. Je dis bien peu à peu et non par parties, car l’ambition de progresser par parties dans la connaissance de Dieu en lui-même est capable de paralyser toutes les facultés de contemplation, tant de l’esprit que de l’intellect, et de jeter l’homme dans le trouble, la confusion et le doute.
Je passais toute la nuit à veiller en méditant. Toute nouvelle étincelle de vérité que je percevais enflammait mon esprit et ravivait toutes mes facultés. Je me levais alors et je priais intensément. Je me prosternais et rendais grâce avec larmes, en confessant ne pas être digne d’en recevoir plus. Mais ma crainte d’aller plus avant dans la connaissance des mystères de Dieu devenait elle-même le signal qui m’en ouvrait l’accès. J’admirais la parole de S. Paul : «Je préfère donc bien volontiers me glorifier de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi, … car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort» (2Co12, 9-10).
C’est l’un des paradoxes de la connaissance de la Vérité. Elle se fonde sur des principes radicalement différents de ceux de la connaissance des choses du monde qui nous entoure.
J’observais toutefois minutieusement l’office canonique des Heures du jour et de la nuit, selon la Agpeya (l’Horologion). J’en ai appris tous les psaumes par cœur, et ils m’ont été d’un grand secours pour empêcher ma méditation de tarir et ma ferveur de se refroidir.
Malgré ma solitude complète – je ne voyais aucun être humain et ne parlais à personne – je me sentais toutefois en communion avec le monde entier, avec toute la création, et je participais à sa relation au Créateur. Sans aucun effort de ma part, je me trouvais en train de méditer sur la providence de Dieu, sur sa dispensation envers la création et sur les lois qui la fondent. Petit à petit, je découvrais les différentes sortes de lois qui régissent la création et lui conservent l’existence.
De la sorte, ma prière et ma contemplation étaient enrichies par la vision de ce monde, de ses lois et de ses mystères. Je découvrais ainsi des vérités vraiment étonnantes et captivantes. Nous les vivons, nous les employons et nous en jouissons, sans nous rendre compte qu’elles existent, et sans en percevoir l’origine. Elles sont toutefois à la base de la vie du monde et de sa relation avec Dieu.
Quand j’habitais la grotte, il était interdit à tout moine de s’approcher de mon habitation. Ma relation avec les moines a toujours été basée sur le respect de la liberté personnelle, et j’ai été strict sur ce point. Le supérieur me respectait et par conséquent les autres moines, mes confrères, me respectaient aussi.
J’ai commencé mon expérience (à Deir es-Sourian) par l’isolement et l’éloignement de mes confrères, et cela a engendré chez d’aucuns une certaine défiance. Comme je persévérais dans l’éloignement et la solitude, je devenais, bien malgré moi, différent des autres, à cause de mon amour de la solitude et de la contemplation et parce que je fuyais les dignités ecclésiastiques. Mais dans la mesure où je m’éloignais et où j’évitais d’avoir des contacts et de rencontrer les supérieurs, je devenais un pôle d’attraction et nombreux étaient ceux qui courraient après moi, souvent par curiosité. Il y en eut même qui m’obligèrent à les accepter comme moines, dans le monastère où je me trouvais.
[Un jour, un jeune homme frappa à la porte de sa grotte. Le Père Matta le reconnut immédiatement, car ce jeune lui avait fait visite plusieurs fois pour demander sa direction spirituelle, en 1948, alors qu’il se trouvait encore au Caire chez le Père Mina el Baramoussy. Ce jeune n’était autre que Nazir Gayyed (le futur Shenouda III). Il demanda avec insistance au Père Matta de ne pas l’empêcher de venir de temps en temps solliciter sa direction spirituelle, car le Père Matta ne permettait strictement à personne de lui faire visite. Par exception, sur l’insistance de l’évêque supérieur du monastère (Anba Theophilos) qui lui envoya une lettre en ce sens, il accepta. Le jeune Nazir lui demandait instamment de prier pour que le Seigneur l’accepte dans la vie monastique. Cela se réalisa en 1954. Devenu moine, il continua à suivre la direction spirituelle du Père Matta el Maskine pendant près de deux ans.]
Vicaire patriarcal à Alexandrie
(mars 1954 – mai 1955)
Après avoir passé trois ans de solitude dans la grotte, j’ai été appelé à me rendre à Alexandrie en 1954, pour remplir la charge de vicaire du patriarche Youssab II. Comme je refusais, le patriarche insista et l’évêque de Deir es-Sourian vint en personne à la grotte pour me convaincre d’accepter. Après un second refus de ma part, le patriarche et l’évêque insistèrent tellement que, par pudeur, je ne pus continuer à refuser. Je sentais que Dieu allait me soutenir et que rien ne pourrait me nuire, que je sois dans ma grotte ou à Alexandrie.
Dès mon entrée en fonction, j’ai travaillé de façon méthodique et planifiée à remettre de l’ordre dans les affaires du patriarcat qui étaient en mauvais état. Les dettes montaient à 5 000 L.E. et le personnel n’avait pas reçu de traitement depuis trois mois.
Il était indispensable d’enregistrer les revenus et de pourvoir aux dépenses. J’ai donc mis en place un système de registres, dont les pages étaient dûment tamponnées au Ministère de l’Intérieur. Pour la première fois en Égypte, j’ai assigné aux prêtres un traitement stable. Ce traitement était fort élevé pour l’époque. Il commençait par 25 L.E. (en ce temps, un universitaire ne touchait au début que 12 L.E.), avec une augmentation annuelle à effet rétroactif, de sorte que le plus ancien des prêtres touchait 55 L.E.
J’ai désigné dans chaque paroisse des personnes responsables d’enregistrer les rentrées des célébrations. Les ressources augmentèrent rapidement en sorte que toutes les dettes furent remboursées en l’espace de trois mois. Mais cela manifesta que certains prêtres empochaient auparavant plus de 300 L.E. par mois !
Commença alors une campagne des prêtres pour se débarrasser de moi à tout prix. Ils firent plusieurs tentatives auprès du patriarche et employèrent à cette fin le secrétaire du Maglis Melli.
J’avais commencé à organiser l’action pastorale, et j’avais fait ordonner prêtres deux jeunes universitaires (les Pères Mina Iskandar et Youhanna Henein), et cela avait encore augmenté la défiance des autres prêtres. Ils travaillaient donc par tous les moyens à se débarrasser de moi. Et finalement, avec l’aide de deux métropolites, ils parvinrent à convaincre le patriarche de désigner un autre vicaire que moi.
Cette mesure souleva le mécontentement général du peuple et des autres membres du Maglis Melli. Avec l’aide du ministre de l’approvisionnement, Guendy Abdel Malek, seul ministre copte, ils parvinrent en peu de temps à démettre le patriarche de ses fonctions et à l’exiler au Deir el Moharraq.
Puis le Maglis Melli me fit adresser une lettre du comité tripartite qui tenait la place du patriarche, accompagnée d’un message du ministre de l’Intérieur m’enjoignant de reprendre mes fonctions à Alexandrie. Quant à moi, je m’étais vivement réjoui de me retrouver dans ma grotte. Je savais par ailleurs que les prêtres ne cesseraient pas leurs intrigues si je retournais parmi eux, et je ne me sentais pas plus fort qu’Akhnaton (que les prêtres païens attaquèrent quand il proclama le culte du dieu unique). Le peuple, par contre, était très mécontent de ma démission. Je préférai donc rester éloigné plutôt que de susciter d’interminables querelles.
Mon activité à Alexandrie qui a duré un an et deux mois a laissé diverses réalisations : la réforme de l’administration et de l’organisation du patriarcat, le renouveau pastoral et spirituel, et l’inauguration du service social. Pour celui-ci, j’ai fondé un bureau au patriarcat et lui ai affecté un prêtre instruit (ingénieur, diplômé de la faculté de théologie et diplômé en sociologie par l’Université américaine). Ce fut le premier bureau du service social dans l’Église copte.
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(20 juillet 1956)
Ces évènements attirèrent l’attention de l’épiscopat sur l’éventualité de ma candidature au patriarcat, pour succéder à Youssab II. Sans que je sache pourquoi, je vis les choses tourner rapidement contre moi. Je vivais pourtant dans ma grotte. À la demande de l’évêque supérieur du monastère, j’avais accepté depuis trois ans de recevoir les confessions des jeunes moines venus au monastère pour vivre sous ma direction spirituelle. Et maintenant ces moines venaient à la grotte se plaindre que l’évêque parlait ouvertement contre moi et les encourageait à adopter un autre Père spirituel que moi. Je compris tout. Pour éviter un conflit qui m’aurait immanquablement éloigné de ma vocation spirituelle, je décidai de partir pour retourner à mon monastère d’origine, le Deir Anba Samuel où j’ai commencé ma vie monastique.
Je pris mon bâton, mon évangile et ma croix (mais je laissai ma bibliothèque privée, soit deux cents volumes rares et de valeur) et après avoir salué l’évêque du monastère et en avoir reçu l’absolution, je partis. J’agissais ainsi dans toutes les occasions semblables. Je quittai le monastère en interdisant strictement aux moines de me suivre.
J’avais le sentiment d’un oiseau échappé du piège et s’élançant en battant des ailes dans le ciel de la liberté. Je pris l’autocar du désert vers le Caire, dans l’intention de retourner à Deir Anba Samuel. Mais comme le supérieur de Deir Anba Samuel était le Père Mina le solitaire (le futur patriarche Cyrille VI), je descendis d’abord chez lui, dans son église du Vieux Caire. Au bout de deux heures, je vis la porte s’ouvrir et une douzaine de moines de mes disciples entrer. J’en fus très affligé et j’essayai de les convaincre de retourner dans leur monastère d’origine où ils ont été consacrés moines. Je leur dis que je voulais vivre seul, que Deir Anba Samuel était pauvre, qu’il était impossible d’y entretenir tout ce monde. Mais tous mes raisonnements s’évanouissaient devant leur enthousiasme : «Nous vivrons avec toi et nous mourrons avec toi !» C’était en 1956.
[Leur leader était Abouna Antonios, le futur Shenouda III]
Nous sommes donc tous partis pour Deir Anba Samuel. Nous commençâmes immédiatement à le reconstruire, car il était tout délabré et n’avait aucune cellule en bon état. Mes amis d’Alexandrie, apprenant cela, m’envoyèrent en 1956 beaucoup d’argent.
Les constructions me coûtèrent 3500 L.E. En deux ans et demi nous avons construit 30 cellules et une salle de bain en pierres taillées et ciment. Travail dur et ininterrompu.
Trois mois après notre arrivée à Deir Anba Samuel, le patriarche Youssab II est décédé.
Le second départ de Deir Anba Samuel
(27 juillet 1960)
Après avoir achevé la construction des nouvelles cellules, mais avant d’y habiter, nous fûmes surpris par un évènement inattendu. Le Père Mina le solitaire avait été élu patriarche5, car les évêques avaient écarté la candidature du P. Macari (Anba Samuel) et du P. Antonios (Shenouda III) et ils avaient ajouté mon nom à ces deux noms dans la liste de ceux qu’ils appelèrent “les moines universitaires”.
Nous fûmes surpris de recevoir un télégramme envoyé par le nouveau patriarche au responsable de Deir Anba Samuel lui signifiant que nous devions quitter ce monastère.
Le 27 janvier 1960, nous sommes donc tous partis hâtivement, laissant tout derrière nous, comme si nous allions commencer une nouvelle vie monastique. Nouvel exode ! J’ai été rencontrer le patriarche avec beaucoup de respect et lui ai demandé pourquoi il avait pris cette mesure ? «Pour que vous viviez à Deir es-Sourian» me répondit-il. Je lui demandai alors une lettre de recommandation, mais il préféra envoyer avec nous un messager.
Nous sommes donc retournés à Deir es-Sourian le 28 janvier 1960, mais dès le premier jour, je compris que nous n’étions pas désirés.
Notre séjour ne dura donc pas plus que 70 jours, au bout desquels nous quittâmes le monastère – avec un vif sentiment de joie et de liberté – après avoir reçu la bénédiction de l’évêque supérieur du monastère, et nous partîmes pour le Caire. (C’était le samedi de Lazare, 9 avril 1960).
J’avais fondé en 1958 à Helouan (dans un des anciens châteaux du Khedive Abbas) une maison pour la consécration des jeunes au service pastoral. Nous y sommes descendus6.
Mais après quelques mois, le 10 août 1960, tard dans la nuit, à deux heures du matin, nous avons été surpris par la visite de deux métropolites : Anba Benyamin, de Menoufeyya et Anba Mina de Guerga. Ils nous apportaient une lettre du patriarche nous enjoignant de quitter le Caire dans les 24 heures, sous peine d’être excommuniés !
Le même métropolite nous donne sa bénédiction
Mais, quelques heures plus tard, à l’aube, Anba Benyamin de Menoufeyya revient et demande à me voir. Il me confie qu’il était mécontent de cette mesure prise par le patriarche et me dit : «Dans l’Église je suis métropolite et j’en connais les Canons. Vous êtes tous absous et bénis. Là où vous irez, bâtissez un autel et célébrez la Liturgie et j’en suis responsable devant Dieu et l’Église». Puis il demanda que nous venions tous devant lui, il éleva la croix et nous donna à tous l’absolution. Puis il m’offrit sa croix, ses vêtements liturgiques, une planche d’autel pour que nous célébrions la Sainte Liturgie, ainsi que 50 L.E. Il nous accompagna de sa bénédiction et de sa prière. Puis il alla le même jour en faire part au patriarche et cela fut l’occasion d’un froid entre eux qui dura longtemps.
(11 août 1960 – 9 mai 1969)
J’étais pourtant heureux : nouvel exode ! Je pris donc les moines, le matin suivant et nous partîmes dans deux voitures Jeep vers le Wadi Rayyan. J’avais exploré cette vallée durant mes nombreuses excursions quand j’étais à Deir Anba Samuel. Elle se trouve à 50 km au nord de celui-ci et à 50 km au sud du Fayyoum.
C’est une vallée déserte qui s’étend sur 7 km de large et 30 km de long. Il s’y trouve des sources d’eau légèrement salée, mais potable. Des palmiers y sont dispersés. Nous y avons creusé plusieurs grottes éloignées les unes des autres de près d’un demi kilomètre, et nous y avons vécu une vie de solitude et de prière. Le Seigneur nous envoyait notre nourriture tous les deux mois par des caravanes de chameaux, organisées par nos amis du Caire. Cela dura neuf années entières. Mais la vie était dure. Ce fut, au plan de mes capacités naturelles, la période la plus difficile que j’ai vécue :
Le quotidien Al Ahram publia le 17 octobre 1960 7 une déclaration de l’évêque de Deir es-Sourian, selon laquelle nous étions réduits à l’état laïc, sans avoir soumis notre cas à aucune instance canonique, ce qui est contraire au droit canon.
Douze moines sans ressources, dans un lieu très éloigné des régions habitées, sans route pour s’y rendre. Toute caravane qui voudrait y aller sans un guide arabe expérimenté se perdrait et périrait assurément, car le désert y est trompeur et sauvage, sans haute montagne, ni signe ni borne qui aide à s’y diriger.
Se trouver responsable de la santé des moines, alors que l’eau est salée et polluée et que la terre ne laisse pousser aucune plante, sauf des palmiers et quelques rares salades, comme les roquettes et les oignons.
Une vallée qui était l’itinéraire des trafiquants d’opium et d’autres marchandises clandestines apportées de Lybie à travers les oasis. Notre présence leur paraissait dangereuse et ils tentèrent trois fois de se débarrasser de nous en nous fusillant tous, n’était-ce que le chef de la caravane nous prit en pitié et leur ordonna de ne pas faire feu.
Ma santé ne put supporter l’eau salée et polluée, ni la violence des vents de ce lieu. La maladie s’empara de mon corps tout entier.
Il m’incombait de diriger ce groupe de moines, de les soustraire au désarroi et au sentiment d’être injustement traités, de leur communiquer la joie, de les divertir, de les cultiver, d’imprimer dans leurs âmes l’amour divin et la passion de l’Évangile, de leur remonter le moral et de leur procurer ce qui est nécessaire à la vie, tel que les médicaments, les légumes et les fruits.
Personnellement, cela fut pour moi un grand défi que j’ai pu relever quand je me suis défait de moi-même, de ma faiblesse et de ma maladie. Durant neuf années, j’ai porté du mieux que j’ai pu la responsabilité spirituelle et matérielle du groupe. J’ai appris aux moines à vivre une vie de foi absolue. Wadi Rayyan est plein de loups, de brigands et d’assassins. Tout notre groupe a expérimenté la vie solitaire, l’amour divin, la méditation de l’Évangile et l’étude des Pères de l’Église.
Tel fut le grand miracle du Rayyan : neuf années entières vécues dans une vive relation avec Dieu, dans le détachement de soi, sans aucun secours humain dans les pires conditions, sans qu’aucun de nous ne tombe malade au point d’en être empêché de travailler, sans que nous ne manquions du nécessaire, sans que nous ne souffrions de la faim, sans qu’aucun malfaiteur ne nous nuise. Et durant cette période, quatre nouveaux jeunes, séduits par cette vie dure et dépouillée, se joignirent à notre groupe monastique au Rayyan.
Nous avons taillé une église dans le roc. Le samedi soir nous y passions en prière jusqu’à l’aube la vigile du dimanche. La veillée se terminait par la messe, la méditation et la louange de Dieu. Nous passions ensemble la journée du dimanche, au cours de laquelle nous prenions un repas d’agapes, puis chacun de nous retournait à sa grotte.
Nous célébrions la messe à chaque occasion liturgique, grâce à l’autorisation et à la bénédiction que nous a accordées le métropolite Benyamin au moment où nous partions pour le Wadi Rayyan.
Nous travaillions ensemble à couper le bois pour la réserve d’hiver, pour le four et les réchauds à bois, car nous n’employions pas d’autre combustible. Le travail collectif était réglementé et ne durait que quelques heures, suivies d’un repas commun avec lecture. La vie commença rapidement à prendre la forme de celle des premiers Pères du désert, tant pour l’ascèse, que pour l’éloignement du monde, la simplicité, l’amour de l’Évangile et la foi sans limite. Durant ces neuf années, nous n’avons guère reçu de visiteurs, car la route était très difficile.
Une chaîne de montagnes limitait cette vallée au nord, au sud et à l’ouest. Une passe étroite à l’ouest permettait aux caravanes de se diriger vers l’oasis de Kharga, en route vers la Lybie. Les cimes des montagnes étaient surmontées de plateaux sur lesquels on pouvait marcher. Quand j’étais à Deir Anba Samuel, durant mes excursions j’aimais y monter et j’y passais la journée à prier et à méditer, à une hauteur de 140 mètres au-dessus du reste de la vallée.
Mais dans les conditions nouvelles créées par les circonstances, cette nature vierge, sans même la trace de l’intervention de l’homme, donnait une impression différente de tout ce que j’y avais ressenti précédemment. La nature semblait désolée et souffrante. Les montagnes apparaissaient d’une aridité totale. Les aigles et les vautours tournaient dans le ciel en criant de faim. Tout le paysage était sinistre et semblait vouloir exprimer une marche vers le néant. Les sommets rongés des montagnes ressemblaient à des becs de vautours, et de longues fentes taillées dans la roche gardaient le souvenir des torrents violents des temps primordiaux. Les restes des ossements d’animaux préhistoriques énormes gisaient aux creux des montagnes, et les restes de squelettes humains se voyaient dans les cavernes. Elles avaient pu servir à des moines qui nous y auraient précédés.
Ayant choisi le plus haut de ces sommets pour m’y reposer, dans ce paysage je méditais sur ma propre existence. Qui suis-je ? Et qui est Dieu ? Quel est mon itinéraire ? Ne suis-je pas moi-même comme un de ces sommets, rongé par le temps, dépouillé de tout ce qui l’entourait et laissé solitaire, élevé, escarpé ? Une borne à l’horizon pour ceux qui désirent s’orienter, sans qu’on ne soupçonne que jamais elle n’a voulu être ainsi, solitaire, haute, comme une borne ? Contrairement à sa volonté c’est son entourage qui l’a délaissée.
J’étais hanté par la nostalgie de rester une simple brebis du troupeau et non un dirigeant ou un guide. Alors que j’étais si préoccupé de moi-même, sur le point de mettre en doute ma propre existence, voilà qu’une voix me vint d’en haut – le ciel était proche ; non sans raison j’avais été conduit vers la cime ; cela correspondait sans que je ne m’en doute, à mon aspiration la plus profonde. Cette voix me faisait comprendre que je ne m’appartenais pas, que mes ennuis n’étaient pas une sanction mais un honneur, que cela même était la communion avec Lui, que j’avais tant demandée dans mes larmes, sans en mesurer les exigences. Pour la première fois, mes yeux s’ouvraient et je percevais le sens véritable de la communion avec le Christ. Je me mettais alors délibérément sous l’égide de la croix, après maints refus, cris, larmes, supplications et contestations.
Toutefois, le souci de la responsabilité m’importunait chaque jour. Cela me pesait sur le cœur et je ressentais une profonde souffrance dans mon for intérieur. Je ne pouvais accepter que les autres soient privés du nécessaire ou qu’ils se sentent coupés de l’Église sans raison.
Je ne trouvais de consolation que dans ma relation personnelle avec le Seigneur Jésus. Il me fit sentir qu’il portait avec moi ce fardeau et qu’il partageait avec moi cette responsabilité. Il me promit qu’aucun dommage ne nous atteindrait, qu’aucun de nous ne tomberait malade et qu’il ne nous délaisserait pas un seul instant.
Dans ma vie intérieure, l’œuvre de l’Esprit n’était pas perturbée par les oppositions accablantes qui me venaient des supérieurs ou des confrères. Mes écrits gardaient la même profondeur dans les temps difficiles comme dans les temps paisibles. La période passée au Wadi Rayyan a été des plus fécondes en écrits spirituels8.
Constatant le manque de profondeur spirituelle des études religieuses, je résolus d’étendre le champ de mes écrits aux domaines les plus variés, pour suppléer à cette insuffisance. Et j’espère que d’autres viendront continuer ce que j’ai commencé, car je me sens profondément humilié par la faiblesse de mon Église.
Jusqu’à présent (1978), j’ai achevé près d’une quarantaine de livres, sans compter les articles de revue. Tous mes écrits ont pour but de mettre en lumière les vérités essentielles de la vie spirituelle, de l’Évangile et de la foi.
Le plus important que j’ai écrit concerne la croix et ce qu’elle a réalisé, comme événement majeur de transformation dans l’histoire de la créature humaine. J’en ai traité surtout au cours d’homélies prononcées le Vendredi saint. Celles-ci ont été ensuite publiées sous forme d’articles et de livres. Quant au sujet qui m’est le plus cher, c’est celui des relations humaines, dans leurs principes et dans la pratique.
Ma pensée dans ses principes, tant au plan spirituel qu’au plan théologique, politique ou littéraire, n’a pas évolué ni changé, mais elle s’est développée avec le temps sans changement radical.
Lettre du patriarche Cyrille VI, dans laquelle il ne fait aucun cas de la prétendue sanction portée contre le Père Matta el Maskine
[Le 1er février 1966, le Père Matta el Maskine fut surpris de recevoir au Wadi Rayyan une lettre provenant du patriarcat. Sur l’enveloppe et sous l’entête de la lettre, elle portait l’adresse suivante : «Au Révérend et très pieux Père, le Quommos Matta el Maskine», comme s’il n’y avait pas eu de réduction à l’état laïc publiée dans les journaux en 1960. En réalité, cette prétendue sanction n’a jamais été plus qu’une simple annonce dans le quotidien Al Ahram. Elle ne provenait pas du patriarche Cyrille VI, ne se fondait sur aucune sentence synodale, ni sur le jugement d’un tribunal ecclésiastique, ni même sur une comparution personnelle. Elle était une simple annonce de l’évêque de Deir es-Sourian, selon le texte même : «L’évêque de Deir es-Sourian annonce …». Il va sans dire qu’un tel procédé est contraire au droit canon et n’a pas de valeur ecclésiale.
Dans cette lettre, le patriarche demandait au Père Matta el Maskine d’envoyer trois de ses moines vivre au Deir Anba Samuel. Le Père Matta el Maskine répondit immédiatement à la sollicitation de Sa Sainteté et envoya, le 12 février, trois moines au Deir Anba Samuel.
(Cette lettre était conservée par le regretté Anba Andrawos, évêque de Damiette, qui la présenta en 1971 au comité des élections patriarcales, comme preuve qu’aucune sanction ecclésiastique valide n’a atteint le Père Matta el Maskine et ses disciples entre 1960 et 1969)].
Tentatives de réconciliation de la part du patriarche
Neuf ans s’étaient écoulés au Wadi Rayyan, quand le patriarche m’envoya le Père Salib Sourial qui me fit savoir qu’il demandait à me voir. Il insista en me disant que le patriarche était malade et affligé et que, pris de remords, il n’avait pas dormi trois nuits de suite. J’allai donc rencontrer le patriarche en compagnie du Père Salib Sourial, curé de Guizeh, et de S.E. Anba Mikhaïl, évêque d’Assiout et supérieur du monastère de St-Macaire, qui était disposé à nous accueillir dans son monastère. Le patriarche me fit des excuses, me demanda de lui pardonner et de l’absoudre, et lui-même m’accorda le pardon et l’absolution. Nous célébrâmes ensemble la Sainte Liturgie en présence de tous les moines du Wadi Rayyan, venus à la demande du patriarche. C’était la fête de la naissance de la sainte Vierge Marie, le 9 mai 1969. Le patriarche changea notre schéma monastique, c’est-à-dire notre appartenance, de Deir es-Sourian au monastère de St-Macaire. Il ne vécut pas longtemps après cela. Atteint d’un infarctus, il s’endormit dans la paix.
Se reporter à l'Annexe 2 pour plus de détails
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(9 mai 1969)
Dès notre arrivée au monastère de St-Macaire, nous nous sommes senti responsables de sa restauration, car il se trouvait dans un état pitoyable. On aurait dit qu’il attendait notre arrivée. Il n’y restait plus que quelques vieux moines, dont deux étaient aveugles et un paralytique. Et il ne s’y trouvait aucune chambre (cellule) habitable.
J’étais au comble de l’épuisement. J’avais le plus grand besoin de repos, de calme et de solitude, pour retrouver la santé, la joie spirituelle et la sérénité. Mais responsable de sauver des ruines la maison du Seigneur, je me suis oublié moi-même, j’ai renoncé à ma passion pour la solitude et j'ai commencé les travaux de restauration du monastère de St-Macaire. Je m’appuyais sur les moines que le Seigneur envoyait au fur et à mesure dans la profusion de sa grâce. Leur nombre se monte actuellement [en 1978] à 80 moines de diverses spécialisations.
Si un volume de mille pages ne suffirait pas pour décrire les expériences vraiment merveilleuses du Wadi Rayyan, il n’en faudrait pas moins pour décrire ce que nous avons expérimenté durant la reconstruction du monastère de St-Macaire. Comment Dieu nous a inspiré les plans d’un monastère exemplaire; comment il nous a donné au jour le jour la capacité d’organiser les travaux. Du matin au soir, je me tenais debout sur mes pieds malades pour coordonner les diverses opérations et confier chacune d’elles à un moine spécialisé. Il fallait aussi prendre en charge l’hébergement des diverses catégories d’ouvriers: maçons, ouvriers agricoles, charpentiers, ouvriers du béton, menuisiers, forgerons, plâtriers, plombiers, etc… près de 450 ouvriers et contremaîtres qu’il a fallu entretenir durant neuf années complètes.
Mais tout cela n’est rien en comparaison de la nécessité de financer tous ces travaux, alors que nous ne possédions rien. Les dépenses quotidiennes ont commencé par 100 L.E. la première année, puis elles se sont montées à 200 L.E., puis à 300 L.E. et maintenant (en 1978) elles dépassent les 400 L.E. par jour, rien que pour les salaires et l’entretien des ouvriers! Tout cela nous est accordé dans la prière! Jusqu’aujourd’hui [1978] nous avons dépensé 2.100.000 L.E. sans avoir aucune ressource stable et sans demander l’aide de personne, sauf de ceux qui nous ont obligés à les mettre au courant de nos besoins. Nous avons employé jusqu’à présent 9 000 tonnes de ciment, 1 000 tonnes d’acier, 800 mètres cubes de bois, et du matériel et des machines pour 250.000 L.E.
Le centre vital de toutes nos activités était notre réunion à l’église pour un entretien spirituel. Cela pouvait durer de deux à quatre heures. Nous y parlions des principaux thèmes monastiques, bibliques et patristiques. Ces exposés étaient ensuite publiés sous forme d’articles ou de plaquettes. Pour les livres les plus importants, je m’isolais dans une grotte hors du monastère, durant plusieurs mois, pour achever de les écrire.
À tous les plans la formation des moines s’effectuait dans le sillage des premiers Pères du désert, sur la base de l’Évangile et d’une spiritualité saine et féconde. Je ne manquais pas de m’occuper aussi de la formation psychologique et humaine de la communauté en général, et de chacun en particulier dans des entretiens personnels, soit à l’occasion de la confession ou pour un simple échange. Les sujets les plus divers, comme la politique ou les grands événements mondiaux faisaient partie de ma conversation de tous les jours. Les moines mûrissaient dans leur pensée et se développaient. Ils parvenaient à se libérer de défauts hérités d’une éducation familiale défectueuse, comme la tendance à mépriser les serviteurs et à rudoyer les ouvriers, et aussi de défauts hérités des Écoles du dimanche, comme l’étroitesse d’esprit, le fanatisme et le culte des supérieurs. Le monastère a acquis ainsi une personnalité qui se distingue par l’ouverture, le manque de fanatisme et l’amour de tous et chacun sans exception.
Le travail manuel a reçu sa place comme élément essentiel de la vie monastique. Le novice travaille en moyenne trois heures par jour, et après un temps de probation d’environ une année, après s’être exercé à pratiquer la prière du cœur pendant le travail, il reçoit une tâche qui peut lui prendre jusqu’à huit heures par jour.
J’ai introduit le travail comme un élément essentiel de la formation monastique, car je suis convaincu qu’il est le moyen idéal de mettre à découvert les défauts de l’âme. Puis, par le biais des remontrances et des conseils, le travail lui-même devient le moyen de guérir ces défauts.
J’ai même acquis la certitude qu’un travail lourd est le meilleur moyen pour guérir certaines formes de psychose, comme la dépression, le scrupule, un début de schizophrénie, une régression mentale. Ces affections sont répandues à des degrés divers dans cinquante pour cent de la société égyptienne, mais elles restent cachées, car l’Égyptien est habile à dissimuler ses anomalies psychiques.
Le nombre des moines est actuellement [en 1978] de quatre-vingts moines avec des compétences diverses. Ils se distinguent par leur grande ouverture et leur sens de la responsabilité. Parmi eux on trouve des personnalités rares, telles qu’on en rencontre peu à chaque génération. Ils se distinguent par leur amour de Dieu, leur grande pureté, leur vie de prière, leur humilité, leur charité fraternelle, et la douceur de leur caractère. Cela attire des centaines de visiteurs. Toutefois, tous ces moines sont en quelque sorte mis à l’écart. On ne choisit pas d’évêque parmi eux, on ne les invite pas dans les congrès et ils ne participent à aucune activité publique dans l’Église. Mais dans tout cela nous progressons en maturité, en amour et en dépouillement.
J’ai connu Dieu dans la solitude, la retraite et la contemplation; et je l’ai connu aussi dans le travail, l’effort et les relations humaines. Dans le premier genre de vie, j’échangeais les monnaies terrestres pour les célestes et j’en retirais un gain considérable. Dans le second, j’échangeais les monnaies célestes pour les terrestres et j’ai également obtenu un gain considérable9. En tout cela, Dieu demeurait devant moi, tel qu’il est, riche en grâce et magnanime, bienveillant et prompt à exaucer, transformant toute perte en gain rapide, essuyant les larmes de nos yeux, de sa main qui, non seulement essuie les larmes, mais améliore la vision. C’est Lui le Médecin céleste qui ne soigne pas la maladie en la guérissant, comme les médecins de la terre, mais en procurant un surcroît de grâce et de puissance qui nous soulève au-dessus de la maladie et de la faiblesse qui en résulte. Je suis très malade, mais en même temps très fort. Je puis, sans défaillir, remplir les charges les plus dures, comme un jeune homme.
J’ai connu Dieu: 1. comme une réalité stable. 2. comme une Vérité éclairante.
Je l’ai connu comme réalité stable derrière toutes les formes, les apparences et les occupations du vécu quotidien. C’est cette réalité qui leur confère un sens, une authenticité, un sérieux au point d’en faire une obligation. La vie sous sa forme actuelle, malgré toutes ses contradictions et ses déficiences, reste très belle et vaut la peine d’être vécue, et il faut la vivre!
Je l’ai connu aussi comme Vérité qui nous fait mépriser le mensonge, la falsification, les artifices des hommes et l’insignifiance de leurs pensées; Vérité qui illumine le cœur et la pensée et l’empêche de défaillir devant la disparition du vrai de la bouche des supérieurs, des confrères et des responsables, et devant le culte du faux comme s’il était lumière. Par cette seule Vérité, il nous est donné de dépasser les embûches du chemin et d’acquérir l’assurance de parvenir au terme.
[Ici finit l’autobiographie du P. Matta el Maskine, écrite en 1978. Nous la faisons suivre par divers témoignages du P. Matta et d’autres personnes sur les évènements de 1980-1981].
***
Le rôle conciliateur du Père Matta el Maskine au cours de la crise d’avril 1980
[Paroles du Père Matta el Maskine au cours d’une interview]
La crise a éclaté subitement avec la déclaration de l’Église copte en date du 26 mars 1980 qu’elle allait annuler les festivités du jour de Pâques, qui tombait le 6 avril 1980. Elle annonçait qu’elle refuserait, pour la première fois au cours de l’histoire, le protocole selon lequel le chef de l’État envoie des représentants aux principales églises du Caire, d’Alexandrie et des autres provinces pour présenter ses vœux aux Coptes. Elle annonçait que ce refus serait également appliqué dans toutes les églises coptes de la diaspora. Dans tous les pays du monde, les ambassadeurs et consuls égyptiens ne seraient pas reçus dans les églises coptes le jour de Pâques.
Aux yeux des observateurs politiques, cette mesure représentait un défi personnel lancé au Président (Sadate), au moment même où il s’apprêtait à se rendre aux États-Unis pour les pourparlers au sujet de l’autonomie des Palestiniens.
Des notables coptes m’ont obligé à intervenir pour dénouer la crise, mais il était trop tard. J’ai rencontré le Président Sadate le soir du samedi 5 avril, un jour avant son départ pour les États-Unis. Cette entrevue a eu lieu avec la connaissance et l’approbation de Sa Sainteté le pape Shenouda (et du Synode réuni au monastère d’Anba Bishoy), comme une tentative de résoudre la crise en dernière minute.
Le Président me fit savoir au cours de cette entrevue qu’il était très contrarié de cette démarche de l’Église.
[À l’issue de cette entrevue, le Père Matta el Maskine se rendit au monastère d’Anba Bishoy (bien que ce fût la nuit de Pâques), pour en faire rapport au patriarche et aux évêques rassemblés autour de lui et les supplier de ne pas annuler le protocole propre au jour de Pâques, mais il ne put les convaincre.]
Puis quelques évêques me persuadèrent de la nécessité de rencontrer le Président à son retour pour lui présenter une note proposant la formation d’un comité parlementaire qui prendrait en charge les affaires des Coptes et serait l’organe officiel des relations entre l’Église et l’État. De fait, je l’ai rencontré, avec l’accord du patriarche et lui ai présenté la note. Il la reçut et promis de l’étudier.
Mais j’ai compris la gravité des manifestations qu’avaient préparées certains Coptes des États-Unis contre le Président Sadate devant la Maison Blanche et devant l’hôtel où il devait descendre. Le Président en était au courant dès avant son départ ! Or ce qu’il savait par avance se réalisa en tous ses détails, et la Presse en parla. Je l’appris au cours de mon entrevue avec le Président à son retour et j’ai pu mesurer à quel point cela l’avait contrarié. Il considérait que l’Église s’était érigée contre l’État.
Les événements de septembre 1981
[Sadate voulait arrêter le chef de l’Église, et le citer en justice. Il avait déclaré cela dans son discours officiel du 14 mai 1980].
[Relation écrite par le Père Matta el Maskine en septembre 1981]
J’ai été appelé par le Président Sadate à le rencontrer.
Il me demanda mon avis à propos de l’évolution des relations entre l’Église et l’État. J’ai commencé par proposer qu’il se réconcilie avec le pape Shenouda III. Il refusa catégoriquement.
J’ai alors proposé comme solution intermédiaire de former un comité de médiation composé de quelques évêques, en gardant le patriarche en place. Il refusa de même catégoriquement.
J’ai ensuite proposé la formation d’un comité de laïcs coptes, qui prendrait en charge les relations avec l’État, en laissant l’Église éloignée de ce domaine. Il refusa cela aussi.
Lorsque je vis qu’il était irrévocablement décidé à suspendre le patriarche et à l’écarter, je me suis efforcé d’empêcher que cela ne touche à son caractère religieux, c’est-à-dire au premier aspect de son investiture par l’imposition des mains, la prière et l’invocation du Saint Esprit. Je ne voulais pas que l’Église soit humiliée et sa tradition outragée, car cela n’est pas du ressort de l’État.
La nécessité s’est alors imposée de former un comité provisoire d’évêques qui prennent en main les charges du patriarche. Le Président me demanda de proposer leurs noms. D’autres noms de personnes inadéquates lui avaient été présentés. Pour ma part, j’ai présenté les noms d’évêques dont je garantissais la sagesse et la modération.
Je considère ce jour comme étant le plus sombre de ma vie avec celui où a été annoncée la déposition du patriarche Youssab II (en 1956). Cela ne s’est jamais passé dans l’histoire de l’Église que deux patriarches soient démis et humiliés en une même génération, à un intervalle de vingt-cinq ans.
Remarque: Le Président m’avait d’abord demandé, avec beaucoup d’insistance, d’assumer cette responsabilité mais j’avais refusé.
[À son retour de cette entrevue, le Père Matta avait confié à certains de ses disciples qu’il avait répondu au Président: «Si vous insistez trop, vous allez me perdre définitivement. Nulle part vous ne trouverez ma trace».
Témoignages
[Pendant les évènements douloureux d’avril 1980 et de septembre 1981, le Père Matta el Maskine informait ses disciples de ses entrevues, tant avec le patriarche qu’avec le Président Sadate. De ce fait, nous avons maints détails à ajouter à ce qu’il a lui-même écrit:
Dans son entrevue avec le Président Sadate (septembre 1981), le Père Matta el Maskine a protesté contre les décrets d’arrestation et d’incarcération que le Président s’apprêtait à mettre à exécution contre les chefs politiques de l’opposition et quelques chefs religieux, tant musulmans que chrétiens. Lorsque le Président l’en a informé, le Père Matta el Maskine l’a supplié d’y renoncer, car, disait-il, «la violence engendre la violence». Le président lui a répondu que tout était préparé et que la décision était irrévocable.
Lorsqu’il a été question des mesures que le Président comptait prendre contre le patriarche: arrestation, citation en justice et incrimination, le Père Matta el Maskine lui a dit: «Monsieur le Président, tout Copte apprend dès son jeune âge à se prosterner jusqu’à terre devant le chef de l’Église. Aussi toute atteinte au chef de l’Église blesse profondément la sensibilité de tous les Coptes. À ce propos, je voudrais vous supplier, Monsieur le Président, de ne pas l’appeler dans vos discours officiels “Shenouda”, mais “Anba Shenouda” ou “le pape Shenouda” pour ne pas blesser au plus profond la sensibilité du peuple copte».
Il lui dit aussi: «Vous n’avez pas le droit de “déposer” le patriarche, car il reste patriarche de l’Église durant toute sa vie». En effet, le Président n’employa pas le terme de “déposition” dans son discours, mais il retira seulement le décret par lequel, en tant que Président de la République, il avait ratifié la nomination du patriarche. Le patriarche ne fut pas incarcéré, comme les autres personnes atteintes par les décrets de septembre 1981, mais il resta dans son monastère avec tout l’honneur qui lui est dû, et auquel tiennent tous les Coptes et même tous les Égyptiens.
Résultat
de l’entrevue du Père Matta el Maskine avec le Président
Sadate,
selon le témoignage de l’unique témoin, M. Osman Ahmed
Osman
M. l’ingénieur Osman Ahmed Osman (possesseur de la plus grande société d’entreprises en Égypte et au Proche Orient) a confié à l’un des évêques (Anba Agathon, évêque d’Ismaïliya) son appréciation de cette entrevue privée à laquelle il a été seul à assister: «Félicitations. Le Père Matta el Maskine a réussi à apaiser la colère du Président Sadate contre l’Église».
C’est cela même que nous a confié le Père Matta el Maskine à son retour de cette entrevue.]
«Voici que je m'en vais aujourd'hui par le chemin de toute la terre» (Jos 23,14)
À l’aube du 8 juin 2006, nous a quittés pour la gloire céleste le père spirituel du monastère de Saint-Macaire, le Père Matta el Maskine, âgé de 87 ans, au terme d’une courte maladie. Grand spirituel et écrivain de renom, il a pris en charge le renouveau de la vie monastique selon l’esprit des premiers Pères du désert dans quatre monastères: Deir Anba Samuel (1948 - 1950), Deir es-Sourian, (1950 - 1956), Deir Anba Samuel une seconde fois (1956 - 1959), puis les grottes du Wadi Rayyan (1960 - 1969) et finalement le monastère de Saint-Macaire (9 mai 1969 – 8 juin 2006).
Par ailleurs, il a promu le renouveau théologique et spirituel dans l’Église copte. Il a su allier la profondeur spirituelle d’une expérience mystique personnelle à l’authenticité d’un retour aux sources bibliques et patristiques, en en présentant la synthèse d’une façon accessible à l’homme contemporain. De cette façon, il a enrichi des générations entières par un enseignement spirituel et doctrinal basé sur la Parole de Dieu et la Tradition patristique orthodoxe. Il a ouvert au lecteur contemporain de nouveaux horizons spirituels et a déposé au fond de son cœur les notions et les expériences vitales du christianisme. Tout cela était soutenu par sa vie personnelle qui témoignait de l’authenticité de son enseignement propagé à travers toute l’Église, tant en Égypte qu’à l’extérieur.
Après quatre semaines passées à l’hôpital, il est décédé à 1 h 30 du matin, le jeudi 8 juin 2006. Son corps a été immédiatement transporté au monastère de St-Macaire, où il est arrivé à 5 heures du matin. La communauté des moines l’y attendait à l’Église en priant la psalmodie. Après avoir célébré la Sainte Liturgie et l’office des défunts, les moines se sont avancés, chacun à son tour, vers le corps de leur père vénéré pour lui donner le dernier baiser et en recevoir la bénédiction. Puis ils l’ont porté en procession autour de l’autel et dans l’église en chantant l’hymne de la Résurrection et de l’Ascension : «Le Christ est ressuscité des morts, est monté aux cieux et a siégé à la droite de son Père dans les cieux». Puis la procession s’est dirigée à travers le désert, pour déposer le corps dans une cavité préparée à cet effet dans la roche, quatre ans avant sa mort, à la demande du défunt.
Que sa prière et son intercession soient avec nous et avec l’Église entière.
Et que toutes les générations jouissent de l’immense héritage spirituel qu’a laissé le Père Matta el Maskine, tant par sa vie personnelle que par son enseignement écrit et par ses homélies enregistrées. Que vienne y puiser quiconque désire s’avancer vers la vie éternelle, pour la gloire du saint nom de Dieu.
Plaque commémorative
***
© Copyrights - Droits d'auteur: Monastère de Saint Macaire Le Grand, en Egypte. Cette autobiographie vous est gracieusement présentés par les éditions du monastère sur le site Spiritualité Orthodoxe, les droits d'auteurs doivent toutefois être respectés. Si vous pouvez imprimer le texte ou des parties de ce texte pour votre usage personnel sa reproduction sur papier ou sur support électronique n'est pas permise, sauf autorisation expresse (nous contacter), merci pour votre compréhension.
NOTES
(cliquer sur le chiffre pour revenir à votre
lecture):
1 Le confessionnalisme et le fanatisme, 1969.
2 Le chrétien dans la société, 1967.
3 L’Église et l’État, 1963.
4 Traduit en français sous le titre de L’expérience de Dieu dans la vie de prière, Éditions de Bellefontaine, 1997.
5 Le 19 avril 1959. Il fut intronisé le 10 mai suivant.
6 Avec l’accord et la bénédiction du patriarche qui leur avait conseillé d’y rester provisoirement, car il avait l’intention de disperser le groupe dans divers monastères.
7 Au milieu de ces difficultés que lui causait l’autorité ecclésiastique, le Père Matta el Maskine, au lieu de s’aigrir continuait à offrir à l’Église ses plus belles œuvres spirituelles, en présentant ses meilleurs vœux à l’autorité ecclésiastique. En exergue à La Pentecôte (juin 1960), on peut lire: “Deuxième année de l’intronisation du pape Cyrille VI sur la chaire de S. Marc, que ses jours soient heureux! ” De même en exergue au Paraclet (mai 1961), on lit “Troisième année de l’intronisation du pape Cyrille VI sur la chaire de S. Marc, que ses jours soient heureux! ” Il est intéressant de comparer ces dates avec celles mentionnées ci-dessus (27 janvier 1960, 10 août 1960 et 17 octobre 1960).
8 Les livres suivants ont été publiés durant la période passée au Wadi Rayyan entre 1960 er 1969 : Avec le Christ en sa passion, sa mort et sa résurrection, La Pentecôte, Le Paraclet, L’unité chrétienne, Conseils pour la prière, Comment lire l’Écriture Sainte, Le comportement spirituel, Le chrétien dans la société, Le chrétien dans la famille, La sainte Croix, La sainte Vierge Marie Theotokos, La vie de prière orthodoxe (2ème édition élargie), Saint Antoine ascète selon l’Évangile, La Psalmodie quotidienne et la prière des Heures, La parole de Dieu, L’action spirituelle, L’Église et l’État.
9 Ce passage demande une explication. Lorsque le P. Matta vivait dans la solitude, durant les premières années de sa vie monastique, en échange de sa santé qui dépérissait, il progressait dans sa vie spirituelle. Au cours de la reconstruction du monastère de St-Macaire, en échange de sa sollicitude spirituelle pour chacun des moines, il obtenait d’eux les travaux considérables de la restauration du monastère.
ANNEXES
Témoignage :
[Alors qu’il était vicaire
patriarcal à Alexandrie, plusieurs cas de divorce lui
furent soumis pour qu’il les ratifie en sa qualité de
président du Maglis Melli. (En ce temps, la compétence en
ce genre de questions revenait au Maglis Melli avant
qu’elle ne soit transférée en 1955 aux tribunaux civils).
Mais, pour chaque cas, le Père Matta el Maskine demandait
de rencontrer en privé le mari et la femme en désaccord,
et par sa sagesse spirituelle et la grâce que Dieu lui
accordait, il parvenait à les réconcilier. Et tous
sortaient de chez lui, réjouis de s’être réconciliés et
d’avoir retrouvé la paix de leur foyer.]
Extraits abrégés d’un article de la Revue des Écoles du dimanche,
Par son rédacteur en chef, Dr William Soliman, juin 1955, p.3-15.
[Au début de 1954, les fidèles coptes d’Alexandrie présentèrent une requête au patriarche Youssab II pour qu’il leur désigne un vicaire patriarcal. De même le Maglis Melli d’Alexandrie demanda au patriarche de choisir pour cette fonction un moine parmi les quatre dont il donnait les noms. Le choix du patriarche tomba sur le P. Matta el Maskine, moine de Deir es-Sourian.
Comme celui-ci refusait de quitter son monastère, le patriarche chargea le supérieur de Deir es-Sourian, Anba Theophilos, de lui amener le moine récalcitrant, à moins que celui-ci n’accepte d’assumer cette fonction. De la sorte, le moine Matta el Maskine fut bien obligé d’obtempérer.
Arrivé à Alexandrie, le Père Matta el Maskine y trouva la situation précaire : deux partis étaient en querelle, au point que des policiers devaient assurer une présence permanente dans la cour de l’église patriarcale.
Les principales réformes réalisées par le P. Matta el Maskine à Alexandrie (en 14 mois) :
L’organisation de l’administration du patriarcat et l’inauguration d’un système de registres pour les mariages et les baptêmes, avec possibilité d’en délivrer des certificats.
La régulation des services religieux : chaque prêtre reçoit du patriarcat un traitement stable, et cède au patriarcat les honoraires offerts par les fidèles.
La mise en place d’un projet de recensement des coptes d’Alexandrie, en vue d’organiser l’activité pastorale d’une façon efficace.
L’organisation de la bienfaisance, de sorte que chaque nécessiteux reçoive selon ses besoins.
La fondation d’un séminaire.
Le contrôle de l’enseignement religieux dans les écoles.
La fondation d’une école industrielle, pour former les jeunes à travailler dans les usines.
La bonne administration des revenus du patriarcat, avec pour résultat, le remboursement de toutes les dettes et l’investissement en banque d’un capital dont les intérêts suffisent aux dépenses de l’Église.
L’amélioration du niveau des prêtres : il a fait ordonner deux prêtres universitaires ((le P. Mina Iskandar, ayant une maîtrise ès sciences et le P. Youhanna Henein, ingénieur).
Toutefois, continue l’article cité, la plus merveilleuse de ses œuvres a été la forte influence spirituelle qu’il a eue sur les personnes et sa sollicitude pour le salut des âmes. Il est arrivé à sensibiliser les professeurs d’université, les médecins, les ingénieurs, les avocats, les hommes d’affaires. Ils aimaient converser avec lui, lui poser des questions et écouter ses réponses. Tous témoignaient de sa grande influence spirituelle et racontaient comment il leur avait fait connaître Dieu et les avait engagés à avoir une relation vivante avec Lui.
Quant à son abnégation, il serait trop long d’en parler : il rendait le bien pour le mal et était clément envers ceux qui manœuvraient pour le faire démettre de ses fonctions, afin de retrouver leurs intérêts personnels. Sans se froisser, il gardait le silence et la paix intérieure et laissait Dieu prendre sa défense. C’est pourquoi tous les fidèles l’aimaient et trouvaient en lui un modèle remarquable de vie chrétienne, dans sa forme la plus élevée. Tous l’appuyaient et s’attachaient à lui.
Le Père Matta el Maskine a résigné ses fonctions et est retourné au monastère deux fois (la première fois en mars 1955 et la seconde fois, définitive, en mai 1955), car il n’aimait pas braver ses opposants. Mais l’hostilité de ceux-ci devenait une occasion pour le peuple de lui manifester sa grande estime et son attachement. De même, c’était l’occasion pour le patriarche Youssab II de lui renouveler son appui. Nous avons plusieurs lettres de ce dernier en ce sens. La première est datée du 13 janvier 1955.
Première lettre du patriarche Youssab II dans laquelle il appuie le P. Matta el Maskine
«Nous avons pris connaissance de la déclaration émise à l’unanimité par le Maglis Melli d’Alexandrie, dans laquelle il manifeste son estime pour le Qommos Matta el Maskine, en raison de sa droiture, de son dévouement et des nombreux bienfaits qu’il a réalisés durant son ministère dans la ville d’Alexandrie, bienfaits que nul autre que lui n’aurait pu réaliser. Ce témoignage émis par l’élite de nos fils nous a particulièrement touché. Nous félicitons notre fils, le Qommos Matta el Maskine pour l’affection que lui portent les cœurs de tous, et dont nous avons eu la preuve par la délégation qui nous a fait visite aujourd’hui, délégation composée de prêtres, de membres du Maglis Melli, de membres de diverses sociétés et de fidèles. Nous en avons aussi la preuve par tout ce que nous apprenons de l’affermissement de la paix et de la charité à Alexandrie. Aussi, nous saisissons cette occasion pour vous assurer, vous et tous nos fils bénis et bien-aimés, de l’affection, de l’estime et de l’approbation que nous vouons à notre fils le Qommos Matta. Ce que nous apprenons de ses réalisations en collaboration avec le Maglis nous fait souhaiter que persiste la situation actuelle au patriarcat d’Alexandrie et dans ses dépendances… Et nous souhaitons à notre fils, le Qommos Matta, de continuer à réussir dans son ministère à Alexandrie, comme vicaire patriarcal et président du Maglis.»
Les difficultés recommencèrent deux mois plus tard, en mars 1955. Cette fois aussi, le P. Matta el Maskine ne voulut pas se heurter aux obstacles qu’on mettait devant lui. Il présenta donc sa démission au patriarche en mars 1955.
Tout le peuple se souleva pour demander son retour. Le Maglis Melli se réunit, bien décidé à ne pas laisser accepter cette démission et à remédier à ce qui l’a causée. Il envoya une requête au patriarche, le priant de ne pas accepter cette démission, mais de convaincre le Qommos Matta de reprendre ses fonctions à Alexandrie. Et l’on garda son bureau et sa chambre privée fermés en attendant son retour.
Le patriarche agréa cette requête et envoya le 21 mars la lettre suivante au P. Matta.
Deuxième lettre du patriarche Youssab II au P. Matta el Maskine, pour l’encourager à reprendre ses fonctions
«Par suite de l’affection, de la sollicitude et de l’estime dont vous jouissez dans notre cœur, par suite aussi du bien que nous vous avons vu réaliser dans votre ministère passé au profit de nos fils, le peuple béni qui souhaite votre retour à vos fonctions, comme le souhaitent aussi le secrétaire et les membres du Maglis Melli provincial, vu aussi qu’étant notre vicaire au patriarcat d’Alexandrie, vous l’avez bien administré à notre place, nous comptons sur votre zèle, votre dévouement et sur la sagesse dont Dieu vous a gratifié, pour que vous repreniez vos fonctions, soutenu par la grâce de Dieu et par notre appui total.»
Il envoya aussi le même jour une lettre au Maglis Melli.
Lettre du patriarche Youssab II au Maglis Melli
«Nous vous faisons savoir, chers fils, que nous sommes d’accord pour que notre fils, le Qommos Matta, retourne à ses fonctions. Comme il jouit de notre approbation et de notre appui total, nous souhaitons que vous œuvriez de votre part à éliminer tout ce qui pourrait entraver son action et son ministère, ou lui causer ce que nous ne souhaiterions pas».
Démission définitive et retour au Deir es-Sourian
Le 4 mai 1955, les intrigues reprirent pour écarter le Père Matta el Maskine. On distribua des tracts anonymes contre lui, qui portaient diverses accusations non fondées.
Le Père Matta ne voulut rien répondre à ces calomnies, donnant par là le plus bel exemple du pasteur bienveillant, qui ne désire nuire à personne, ni rendre le mal pour le mal. Cela redoubla l’affection que lui vouait le peuple, l’estime qu’il avait pour sa sagesse et la confiance qu’il mettait en lui.
Le 11 mai 1955, afin de mettre un terme à ces intrigues et confirmer son estime pour son président et vicaire patriarcal, le Maglis Melli déclara «sa désapprobation de cette campagne inique qui vise en vain à discréditer le Qommos Matta el Maskine, vicaire patriarcal et président du Maglis. Le Maglis déclare qu’il a été en complète solidarité avec son président dans toutes les mesures prises par celui-ci, et qu’il souhaite par cette déclaration affermir le bien réalisé, la paix et le renouveau, et rendre hommage à l’esprit qui sous-tend les idéaux et les réalisations du vicaire patriarcal dans toutes ses œuvres.»
Le Dr William Soliman, rédacteur en chef de la Revue des Écoles du dimanche et auteur de l’article que nous citons, ajoute : “La détresse de l’Église en ce temps (juin 1955) vient de ce que des personnes sans instruction et instables ont assumé la direction de l’Église et la responsabilité de l’enseignement, de la doctrine et de la rectitude de la foi”. Et c’est ainsi que ceux qu’il appelle “les partisans de la régression et de l’ignorance” réussirent à écarter le Père Matta el Maskine et firent promulguer un décret en ce sens.
Le Père Matta prit ses affaires – l’évangile, la croix et le châle – et partit en taxi jusqu’au terminus de l’autocar de la route du désert, pour regagner son monastère et sa grotte, et éviter de heurter qui que ce soit.
Le peuple se souleva, fit des manifestations, organisa des meetings et déclara par tous ses organismes et ses sociétés (23 sociétés) qu’ils tenaient à garder le Père Matta el Maskine dans ses fonctions. Le Maglis Melli d’Alexandrie découvrit que derrière ces intrigues se trouvait son propre secrétaire et il le démit de sa fonction de secrétaire, et cette décision a été ratifiée par le Maglis Melli général du Caire. Puis il décréta garder le Père Matta el Maskine dans ses fonctions comme Président du Maglis et vicaire patriarcal, et considérer comme nulle la nomination de tout autre que lui à ce poste. L’État sentit la gravité de la situation pour la Sécurité publique et le ministre de l’Intérieur envoya le ministre copte, Guendy Abdel Malek, au Deir es-Sourian pour essayer de dissuader le P. Matta de sa décision définitive de se retirer. (Il était muni de divers rapports de ses pourparlers avec le peuple d’Alexandrie et les responsables des sociétés qui allaient dans ce sens). Au Deir es-Sourian, le peuple d’Alexandrie remplissait le cloître du monastère en chantant Kyrie eleison, pendant que le ministre s’entretenait avec le Père Matta el Maskine. Mais celui-ci lui fit comprendre qu’il ne prenait pas ses décisions par lui-même, mais selon la volonté de Dieu, et que la résignation de ses fonctions était définitive, car telle était la volonté de Dieu, en vue de sa vie spirituelle et de sa paix intérieure.]
(Revue des Écoles du dimanche, juin 1955, p.3-15, complétée par d’autres sources).
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Témoignage
Communication faite par le Père Salib Sourial, agent de
cette réconciliation, où il en raconte les péripéties en
détail.
(Selon un enregistrement oral en arabe dialectal. En le
traduisant, on s’est efforcé d’en conserver le caractère
vécu. On remarquera la familiarité des rapports entre le
patriarche et le Père Salib Sourial, tout d’abord en
raison de leur lien de parenté, ensuite en raison de la
simplicité et de la bienveillance propres à Cyrille VI, et
en troisième lieu en raison de la confiance et de l’estime
que le patriarche vouait à la personne du Père Salib
Sourial. Par ailleurs, ce dernier avait été dans sa
jeunesse l’ami et le compagnon du Père Matta el Maskine
aux Écoles du dimanche de Guizeh. Durant toute sa vie, il
continua à lui vouer une amitié sans faille.)
Paroles du Père Salib Sourial
J’avais envoyé une lettre au pape Cyrille VI en date du 26
janvier 1967, dans laquelle je le priais de restaurer la
bonne entente dans l’Église. Sa Sainteté me répondit par
une lettre datée du 4 février 1967. Il y disait du bien
d’Abouna Matta.
Je me suis rendu au patriarcat, le mardi 29 avril 1969,
pour présenter mes vœux de Pâques à Sa Sainteté et pour
tâter le terrain. Il me prévint en disant : «Ton ami est
là, à Helouan». Je dis : «Qui est mon ami? J’aime tout le
monde». Il dit : «Abouna Matta». Je dis : «C’est mon ami,
mais c’est aussi votre fils». Il dit : «Bien sûr, mon
enfant, c’est un bon moine, mais il a la tête dure». Je
dis : «Tous les moines sont comme çà !»
Puis je dis : «Monseigneur, dans quelques jours c’est le
dixième anniversaire de votre intronisation et je suis
désolé que, ayant résolu de nombreux problèmes à
l’intérieur de l’Église comme aussi à l’extérieur, votre
problème avec vos propres fils vous ne l’avez pas résolu».
Il dit : «Alors, que veux-tu?» Après un long dialogue, je
lui dis : «Vous avez dit qu’Abouna Matta est bon et que
ses moines sont bons. Pourquoi priver ces moines de leur
père ? Franchement, ils sentent que les répartir en divers
monastères, c’est les disperser». Il me dit : «Pas du
tout. Ils seront un bon ferment dans chaque monastère». Je
lui dis : «Mais ils sont attachés à leur Père spirituel.
Vous croyez en la paternité spirituelle. Laissez-les donc
vivre dans un même monastère !»
Après avoir longuement réfléchi, il dit : «Bon ! Qu’ils
aillent tous au Deir el Moharraq». Je lui dis : «Peu
importe dans quel monastère. L’essentiel est qu’ils soient
tous dans le même monastère». Il dit : «D’accord, qu’ils
aillent au Deir el Moharraq».
Je me suis alors prosterné et lui ai baisé les pieds en
disant : «Maintenant vous êtes un Père !» Il me dit : «Et
alors, mon gars, qu’est-ce que j’étais?» Je lui dis : «Un
patriarche !» Il sourit. Je le quittai pour me rendre à
Helouan, chez Abouna Matta.
Je pris donc le train pour Helouan, le mercredi 30 avril
1969, en compagnie du sous-diacre Ramsis Naguib. Vaincu
par le sommeil, j’entendis par trois fois une voix me dire
: «Deir Abou Maqar».
Je n’avais jamais visité ce monastère et je n’en savais
rien. Me réveillant, je demandai à Ramsis : «Sais-tu
quelque chose sur Deir Abou Maqar?» Il répondit : «Un
monastère très pauvre où il n’y a que huit vieux moines.
Anba Mikhaïl, le métropolite d’Assiout, en est
responsable». Puis il me demanda : «Pourquoi cette
question?» Je lui dis : «Seulement pour savoir, car je ne
l’ai jamais visité».
Arrivés à Helouan, je laissai Ramsis en compagnie du Dr
Nosshy Abdel Shehid et j’entrai au salon avec Abouna
Matta. Nous commençâmes notre entrevue par la prière. Puis
je lui dis : «Franchement, ce qui s’est passé a été pour
l’Église une fêlure qui a arrêté le mouvement de
consécration des jeunes. D’aucuns disent : “Que sont ces
moines qui n’écoutent pas ce que dit le pape?!” Et
d’autres disent : “Comment le pape est-il un Père, alors
qu’il agit ainsi avec ses propres fils?!”»
Il dit : «Tu es celui qui sait le mieux tout ce qui nous
concerne, et tu as longuement pris notre défense. Tu sais
tout ce qui nous est arrivé» Je lui dis : «Je ne viens pas
remuer le passé. Il y a une nouvelle proposition. Que vous
alliez tous à Deir Abou Maqar. C’est un monastère qui a
les avantages suivants :
Il est près du Caire. Et cela pourra revivifier le
mouvement de consécration des jeunes
C’est un monastère pauvre. Vous pourrez le restaurer comme
vous l’avez fait pour Deir Anba Samouil.
Il n’a que huit vieux moines, que vous servirez».
Il dit : «Et tu trouves que c’est une bonne solution?» Je
répondis : «Elle vient de Dieu». Il dit : «D’accord. Mais
peut-être le pape veut-il les moines sans moi. Veuille
donc lui proposer trois solutions». Et il les écrivit sur
une feuille arrachée à mon agenda. J’ai toujours cette
feuille écrite de la main d’Abouna Matta.
Les trois propositions
Que le Père Matta el Maskine laisse la responsabilité des
moines au patriarche, et qu’il la lui confie devant
l’autel.
Qu’ils continuent à vivre au Wadi Rayyan, et que celui-ci
soit reconnu comme monastère.
Deir Abou Maqar.
Au pape de choisir la solution qu’il trouvera
satisfaisante.
À la fin de cette entrevue qui a duré trois heures, nous
nous sommes levés pour prier ensemble.
Jeudi matin, 1er mai 1969, j’ai été voir le pape. Il me
précéda en disant : «Alors te voilà revenu bien vite !» Je
dis : «Et vous ne vouliez pas que je revienne? Ne
m’avez-vous pas chargé d’un message, et je viens vous
apporter la réponse». Il dit : «Alors, il t’a reçu?» Je
dis : «Oui, je l’ai rencontré, sinon que viendrais-je
faire?» Il dit : «C’est que je lui ai envoyé des évêques
et des prêtres et ils n’ont pas réussi à le voir. Et
qu’as-tu fait?» Je dis : «C’est d’accord. Ils iront tous à
Deir Abou Maqar».
Commença alors une tempête telle que je n’en ai jamais vu
dans mes relations avec le pape Cyrille. Je me tus jusqu’à
ce qu’il commença à se calmer. Puis je lui dis : «Pourquoi
êtes-vous fâché, Monseigneur?» Il me dit : «Je t’ai dis :
Deir el Moharraq. Et voilà que tu te poses en patriarche,
tu vas à l’encontre de mes paroles et tu dis : Deir Abou
Maqar ! T’ai-je envoyé dire Deir el Moharraq ou Deir Abou
Maqar?!»
Je lui dis : «Monseigneur, honnêtement parlant,
croyez-vous qu’Abouna Matta et ses moines qui dépassent la
douzaine pourraient s’entendre avec Abouna Kozman, le
supérieur de Deir el Moharraq? Allons-nous, Monseigneur,
résoudre un problème pour en créer un autre?»
Le pape me dit : «Bon, et qui t’as dit Deir Abou Maqar?»
Je répondis : «En vérité, hier, j’ai pris le train pour
Helouan ; je m’y suis endormi quelques minutes et
j’entendis une voix dire Deir Abou Maqar, Deir Abou Maqar,
Deir Abou Maqar». Sa Sainteté dit : «Alors, un oracle a
fondu sur toi?» Je répliquai : «Exactement, parfois
l’oracle se choisit un tout petit prêtre bien misérable et
fond sur lui. Pas seulement sur les patriarches et les
métropolites ! Que faire?»
Il sourit, se dérida et me dit : «Tu as raison, mon fils,
ils n’auraient pu vivre en paix à Deir el Moharraq. Béni
soit le choix de Deir Abou Maqar»
Je me prosternai, lui baisai les pieds et dis : «Votre
paternité est très bonne, Monseigneur». Puis je dis encore
: «Pour être honnête, il me faut vous dire que dès le
début de notre entrevue, Abouna Matta me dit : “Le pape
Cyrille n’est pas seulement notre Père en tant que
patriarche, mais il est aussi mon Père qui m’a appris le
chemin de la vie monastique ; c’est lui qui m’a béni et
m’a habilité à être moine” Pendant cet entretien, votre
portrait, Monseigneur, était au dessus de nos têtes». Il
dit : «C’est vrai?» Je dis : «Vous êtes notre Père, et je
ne peux pas vous mentir. Et cela montre que de mauvaises
gens ont calomnié Abouna Matta en prétendant qu’il aurait
enlevé votre portrait du salon». Il dit : «De fait, mon
fils, on a fait cette calomnie !»
Je lui dis : «Pour être honnête, je dois vous dire encore
autre chose : Abouna Matta m’a demandé de soumettre à
votre Sainteté trois propositions, de sorte que vous
choisissiez celle qui vous plaira». Et je lui tendis la
feuille. L’ayant lue, il commenta ainsi chacune des trois
propositions :
« 1. Non, c’est un bon moine.
2. Non, l’eau de la région n’est pas bonne et les a rendus
malades.
3. Bénis soient-ils à Deir Abou Maqar».
Je lui dis : «Bien, Monseigneur, Abouna Matta m’a demandé
de m’entendre avec votre Sainteté à propos du changement
de leur schéma (leur appartenance monastique). Qui le
fera?» Il me dit : «Anba Mikhaïl est actuellement à Rome.
À son retour, je lui en parlerai et m’assurerai qu’il est
d’accord». Je quittai le patriarcat.
Le soir, alors que je donnais mon cours à la faculté de
Théologie d’Anba Roueis, le secrétaire de Sa Sainteté
m’appela pour me dire : «Le pape veut que vous veniez
immédiatement. Anba Mikhaïl est retourné en Égypte par
avion et n’a pas été en Grèce avec les autres Pères. Sa
Sainteté lui a parlé du sujet dont vous l’avez entretenu
et il est d’accord. Le pape a envoyé chercher Abouna Matta
pour qu’il rencontre Anba Mikhaïl et il désire que vous
soyez présent».
Arrivé en hâte à l’église patriarcale de St-Marc, j’y
trouvai Abouna Matta qui m’y avait précédé, en compagnie
de M. Hanna Youssef Hanna, et nous entrâmes chez Anba
Mikhaïl.
Celui-ci salua cordialement Abouna Matta et lui dit :
«J’ai beaucoup d’estime pour le moine qui défend ses
opinions avec courage. Moi-même j’étais comme ça».
Anba Mikhaïl lui demanda d’écrire une lettre au pape :
«Une lettre gentille. Le pape est très bon et il aime ses
enfants». Abouna Matta dit : «Je ne vais rien écrire».
Je lui dis : «Non, tu dois écrire pour déterminer le
monastère où tu iras avec les moines». Je craignais, en
effet, qu’on ne revienne à l’idée de Deir el Moharraq,
dont Abouna Matta n’avait encore rien entendu. Il s’assit
pour écrire.
Anba Mikhaïl révisa la lettre, barra quelques expressions,
on la mit au propre et nous entrâmes chez le pape à dix
heures du soir. Avant d’entrer, Anba Mikhaïl me dit :
«Enlevez le châle de sur ses épaules, car le pape n’aime
pas çà». Je l’enlevai de sur ses épaules en lui disant :
«Laisse-le au Dr Nosshy jusqu’à notre sortie». Anba
Mikhaïl lui dit : «Quand je viendrai au monastère, je
serai un hôte et c’est vous qui ferez tout, par la sagesse
que Dieu vous a donnée».
Le pape nous reçut cordialement avec un sourire rayonnant.
Je pris soin de m’asseoir près d’Abouna Matta et le pape
ouvrit la conversation : «Tes cheveux ont blanchi, Abouna
Matta». Il répondit : «Grâce à vous, Monseigneur». Je le
cognai du pied : «Ne fais pas d’humour !» Alors, le pape
dit : «Les épreuves que vous avez endurées ont été une
école profitable. Sois bien sûr que tous ces évènements
ont été pour votre profit». J’essayai de changer
l’atmosphère, de peur qu’on ne remue le passé. Je dis :
«Eh bien, Monseigneur, vous n’avez rien de bon à nous
offrir, pas de friandises? Cette nuit est plus belle que
celle de votre intronisation. Aujourd’hui où vous
rassemblez vos enfants autour de vous !»
Il me dit : «Lève-toi donc, tu es chez toi. Apporte la
boîte qui est là-bas. C’est du bon chocolat». J’en offris
à tous.
Puis je dis : «Et quoi à propos du changement du schéma ?»
Il répondit : «Ce sera fait par Anba Mikhaïl, le supérieur
du monastère».
Alors, Anba Mikhaïl dit : «Non, Monseigneur. Vous êtes
notre Père à tous. Vous êtes le Père des moines. Vu les
circonstances et en raison de votre affection envers eux,
faites-leur l’honneur de leur changer vous-même le
schéma».
On tomba d’accord. Après avoir accompagné Abouna Matta à
Helouan, je rentrai à Guizeh à deux heures du matin.
Une semaine plus tard, le jeudi soir 8 mai 1969, le Dr
Nosshy m’appelle au téléphone : «Le changement du schéma
aura lieu demain matin». Peu après Abouna Matta lui-même
me téléphone. Il avait envoyé à ses moines au Wadi Rayyan
un enregistrement dans lequel il leur racontait son
entrevue avec le pape et leur demandait de venir le
lendemain, vendredi, tôt le matin, à la cathédrale pour le
changement du schéma (c’est-à-dire pour le transfert de
leur appartenance monastique au monastère de St-Macaire).
Vendredi donc, à 5h du matin, je me suis rendu à la
cathédrale en compagnie du sous-diacre Ramsis Naguib. Le
patriarche était monté se reposer un moment après la
psalmodie. Quand il revint, il me vit et me dit : «Alors,
te voilà tôt venu, cher ami !» Je lui dis : «N’est-ce pas
le plus beau jour, celui où nous voyons le père entouré de
ses enfants?» Il me dit : «Rendons grâce à Dieu, mon
fils».
Il envoya Youssef Guirguis me dire de célébrer la messe
dans l’église de St-Stéphane. Je lui dis : «Je suis
fatigué et je ne pourrai pas célébrer». En vérité, je
craignais que se vérifia une rumeur que m’avais
communiquée le Dr Nosshy, selon laquelle le patriarche
aurait l’intention d’ordonner Abouna Matta évêque pour
l’Afrique du Sud. Le patriarche envoya me dire une seconde
fois de célébrer. Je dis alors au chantre : «Nous voulons
célébrer rapidement». Les moines commencèrent à arriver du
Wadi Rayyan en voitures Jeep. Puis vint Dr Hanna Youssef
Hanna. Je lui dis : «S’il vous plaît, si pendant la
cérémonie du changement du schéma, vous apprenez que le
patriarche désire ordonner Abouna Matta évêque pour
l’Afrique du Sud, faites-le moi savoir immédiatement», et
je l’informai de la rumeur que m’avait communiquée le Dr
Nosshy.
Pendant l’encensement, je pris soin de bien m’approcher du
patriarche, mais il ne me dit rien. Lorsque tous les
moines furent arrivés, commença la cérémonie du changement
du schéma. Quand vint le tour d’Abouna Matta, le
patriarche dit : «Matteos, moine du monastère de
St-Macaire».
Abouna Matta lui dit : «Matta el Maskine, s’il vous plaît,
Monseigneur».
Le patriarche dit : «Matta el Maskine pour le monastère de
St-Macaire».
Ainsi prit fin la crise que les personnes mal
intentionnées avaient voulu créer entre le patriarche et
ses fils. Après avoir célébré la messe dans l’église de
St-Stéphane, j’assistai à la messe célébrée par le
patriarche. Je ne le vis jamais aussi radieux et réjoui
qu’en ce jour.
Un jeune homme prenait des photos. Le patriarche me dit :
«Tu n’aurais pas su trouver un bon photographe?» (pour le
photographier en compagnie d’Abouna Matta et de ses
moines).
Puis il me dit : «Mon fils, je t’ai fait célébrer dans
l’église de St-Stéphane et j’y ai fait apporter en secret
la relique de saint Marc pour que les moines y reçoivent
sa bénédiction, car ils n’ont pas assisté aux festivités
de son transfert de Rome». Et la Sainte Liturgie prit fin
au milieu d’une joie ineffable.
Je lui dis : «Et alors, Monseigneur, où allons-nous nous
mettre en attendant que les voitures viennent prendre les
Pères?»
Il dit : «Dans la salle du Maglis Melli». Puis il nous
envoya un petit déjeuner.
À tout métropolite ou évêque qui venait, le patriarche
disait : «Abouna Matta et ses moines sont revenus. Allez
les saluer».
Le premier qui vint tôt le matin fut Anba Mikhaïl. Il
était rayonnant de joie.
Enfin, les voitures arrivèrent pour prendre les Pères au
monastère de St-Macaire et Abouna Matta s’y rendit avec
eux. Le lendemain il revint pour organiser le transport de
leurs affaires du Wadi Rayyan.
Le samedi matin, Sa Sainteté m’appela. J’en fus inquiet
intérieurement : «S’est-il passé quelque chose? À Dieu ne
plaise !» Or Monseigneur me dit : «Mon fils, j’y ai
réfléchi toute la nuit. Les moines sont nombreux et le
monastère est vide. Je vais rassembler l’Organisation des
Wakfs et leur demander de leur assigner une subvention
mensuelle». Je lui dis : «Monseigneur, ne vous faites pas
de souci au sujet d’Abouna Matta. Ses amis sont nombreux
et le Seigneur va lui envoyer beaucoup d’argent». J’ai
admiré la sollicitude paternelle de ce grand homme qui
aime ses fils et qui pense à eux, à leur subsistance et à
leurs besoins.
Puis le pape célébra le dixième anniversaire de son
intronisation. Il était tout heureux, car il venait de
résoudre le problème le plus important apparu dans
l’Église depuis son intronisation.]
[Le témoignage du P. Salib Sourial se termine ici. Nous
reprenons l’autobiographie du Père Matta el Maskine.]
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